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des sectes chrétiennes. Aux yeux de ces ritualistes outrés, les cérémonies ne sont point un simple vêtement de la religion, elles en sont le corps et la chair, et sans elles le dogme n’est qu’un squelette inanimé. Par là, le raskol est en directe opposition avec le protestantisme, qui de sa nature fait bon marché des formes extérieures, les regardant comme une parure de luxe ou une inutile et dangereuse superfétation. Pour le starovère, le rituel est, comme le dogme, partie intégrante de la tradition, il est également le legs du Christ et des apôtres, et toute la mission de l’église et du clergé est de conserver intact l’un comme l’autre.

Unie au goût du symbolisme, cette scrupuleuse fidélité aux formes extérieures du culte n’implique pas toujours un esprit servile. Loin de là, ce penchant à l’allégorisme qui s’attache tellement à la lettre prend parfois de singulières libertés avec l’esprit des cérémonies ou des textes. C’est le propre du génie symbolique de respecter scrupuleusement les dehors en traitant arbitrairement le fond. Dans ses mains, le rituel et les livres sacrés deviennent comme la donnée d’une céleste énigme dont l’imagination trouve le mot. En demandant un sens caché aux faits comme aux mots, certains raskolniks ont fini par allégoriser les histoires de l’Ancien et du Nouveau-Testament, et par transformer les récits de l’Écriture en paraboles. Quelques-uns ont été jusqu’à ne voir que des figures dans les plus grands miracles évangéliques[1]. Avec une telle méthode d’exégèse on peut aboutir à une sorte de rationalisme mystique ; les formes de la religion risquent de devenir plus solides que le fond, et le culte plus sacré que le dogme. C’est ce qui est arrivé pour quelques-unes des sectes extrêmes du raskol. Il y eut chez ce peuple ignorant une véritable débauche d’interprétation, et par suite d’enseignemens fantastiques et de croyances bizarres.

Le vieux-croyant est attaché à ses rites non seulement pour le sens qu’il leur donne, mais pour la bouche dont il les tient ; le respect des coutumes traditionnelles, des mœurs léguées par les ancêtres, est la raison morale, la raison sociale du schisme. Ici encore dans sa dévotion, servile aux rites et aux prières que lui ont enseignés ses pères, le starovère ne fait qu’exagérer un sentiment religieux, ou du moins un des sentimens qui d’ordinaire se lient à la religion et en augmentent la force. Les hommes ou les peuples ont toujours tenu à honneur de garder la foi de leurs pères, et l’abus

  1. S’il faut en croire Dmitri de Rostof, évêque du XVIIIe siècle, certains sectaires disaient déjà que la résurrection de Lazare était non point un fait, mais une parabole. « Lazare est l’âme humaine, et sa mort le péché. Ses sœurs Marthe et Marie sont le corps et l’âme. La tombe, ce sont les soucis de la vie, la résurrection la conversion. De même l’entrée du Christ à Jérusalem sur une ânesse n’est qu’une similitude. » Kelsief, Sbornik pravitelstvennykh svédénii o raskolnikakh, t. 1er, p. XIV.