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quia nominor leo, de ces hommes qui sont des dominations, selon la forte parole de Dante. Placez-le dans les rangs de ces grands qu’il a décimés ou humiliés, nul ne le surpassera, croyez-le bien, en esprit de révolte et d’empiétement sur le pouvoir royal. De son rôle de ministre, il a tiré tout ce qu’il pouvait lui donner de maîtrise, d’ascendant, de gloire personnelle : tel était le tempérament de l’homme, la théorie ne le guidait en rien ; peu importait à son féroce égoïsme l’avenir de la royauté, et moins encore les destinées de la France, qu’il a faite si grande, non parce qu’il l’a aimée, mais parce qu’il était à sa tête.

Ses procédés avec les hommes, et notamment avec d’Epernon, révêlent plus que tout le reste les vices de ses pratiques gouvernementales, j’entends surtout le défaut de loyauté. On peut ajouter ici le manque de courage. Au lieu de le prendre de haut avec lui, de signifier résolument à l’arrogant seigneur que le temps était passé sans retour de l’impunité pour les attentats contre l’autorité du souverain, Richelieu rusa, louvoya dans une petite guerre de chicanes sans droiture ni dignité, où il contint longtemps son hostilité. N’osant pas encore en venir aux coups décisifs, déjoué d’ailleurs par la prudence de d’Épernon, qui n’avait garde de donner prise en s’associant aux folles équipées d’un enfant comme Chalais ou d’un traître comme Gaston, le ministre portait peu à peu d’irréparables atteintes au crédit et à l’influence de celui qu’il considérait non sans raison comme le plus à redouter de ses adversaires. Il s’essayait en quelque sorte au rude labeur de le terrasser en l’entamant en détail. Entre temps, il s’efforçait parfois de le gagner, peut-être de l’endormir, et l’on peut lire dans sa correspondance telle lettre où il s’offre à lui pour quatrième fils ; mais Richelieu, qui avait trop la passion des grandes choses pour ne pas apprécier et même rechercher les hommes capables de les accomplir, avait aussi cette infirmité morale de ne pouvoir supporter que des complaisans. De là l’ostracisme si honteux et si funeste à la France, qui a fait mourir Toiras au service du duc de Savoie, qui a contraint Rohan, après sa belle campagne de la Valteline et ses quatre victoires, à prendre la pique de simple soldat au combat de Rheinfeld, et qui a peuplé la Bastille et les routes de l’exil des courages les plus brillans, et des caractères les mieux trempés de la génération de Louis XIII. Aux yeux de d’Épernon, Richelieu, n’eût-il pas exigé la servilité pour prix de ses bonnes grâces, avait le tort impardonnable d’être tout-puissant. A ses menteuses protestations de dévoûment, il ne répondit que par un froid dédain, disant qu’il l’attendait aux preuves. La lutte recommença de plus belle : à vrai dire, elle n’avait jamais cessé. Au plus fort de ces tentatives de rapprochement, dont le cardinal de La Valette se fit à plusieurs reprises