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sujet qui, en pleine paix, sans connivences intérieures ni extérieures, partant sans le secours d’aucune diversion, seul en face de toutes les forces du royaume, accomplit impunément un crime flagrant de lèse-majesté et contraint le roi son maître à reconnaître par une. déclaration publique qu’il n’a agi que pour le bien de L’état. Quel échec pour la couronne ! quel triomphe pour le vassal ! Certes l’audace était grande, mais admirez à quel point elle s’arme de finesse et de prudence, sur quel terrain savamment choisi elle engage la lutte. Un revirement incontestable s’était opéré dans L’opinion, non pas tant en faveur de Marie de Médicis que contre ses oppresseurs. Concini mort, l’impopularité de la régente s’était évanouie devant l’indécente brutalité du traitement infligé à la veuve d’Henri IV ; la dureté du roi avait révolté les moins scrupuleux ; deux ans du gouvernement de Luynes avaient presque réconcilié avec le régime déchu. Telle étant la disposition des esprits, prendre en main la cause de la prisonnière, réclamer pour elle non l’empire, mais la réintégration dans les droits de son rang et de sa qualité de mère du roi très chrétien, c’était, on peut le dire, venger la conscience publique et réduire à d’impuissantes velléités de rigueur le courroux de Luynes : il n’est pas sûr qu’il se fût trouvé une cour de parlement en France pour sévir contre un coupable si hautement justifié aux yeux de tous. L’habileté de d’Épernon fut de comprendre que le rôle de redresseur de torts lui offrait l’occasion tant désirée d’humilier cette autorité souveraine qui lui était odieuse quand elle n’était pas entre ses mains. Gâchant ses haines sous le masque de la chevalerie, décorant la rébellion du beau nom de défense des opprimés, il put réaliser le rêve de toute sa vie, il fit capituler le roi. Pour un cadet de Gascogne, l’exploit n’était pas mince. Bien lui en prit de profiter du règne de Luynes pour se donner cette altière satisfaction. « Annibal était aux portes. » De sa main imprudente, lui-même dans ce traité d’Angoulême qui ravale si bas la dignité royale, d’Épernon avait définitivement édifié le pouvoir de Richelieu, qui allait la relever si haut, en châtiant en lui plus cruellement qu’en tout autre l’orgueil des grands seigneurs.

Ce duel de dix-huit ans contre l’autorité royale incarnée en Richelieu, où succomba la fortune, mais non le caractère de d’Épernon, nous n’essaierons pas de le retracer. Il faudrait pour cela écrire en détail l’histoire du gouverneur de Guyenne ; c’est un tissu de menus faits qui, ne se prêtent guère à un résumé succinct. Les incidens de la lutte abondent d’ailleurs en traits curieux et caractéristiques des deux puissantes natures qui sont aux prises. Le génie est à coup sûr au service de la cause qui l’emporta ; on peut trouver qu’en bien des rencontres le vaincu garde sur son adversaire l’avantage de la franchise et de la fierté.