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Moscovite en révolte contre les réformes de Nikone, les cérémonies semblent être tout le christianisme, et la liturgie l’orthodoxie. Cette confusion entre les formes extérieures du culte et la foi s’exprime dans le nom que se donnent à eux-mêmes les dissidens. Non contens de l’appellation de vieux-ritualistes, staroobriadtsy, ils prennent le titre de vieux-croyans, starovèry, c’est-à-dire de vrais croyans, de vrais orthodoxes, car, à l’inverse des sciences humaines, dans les choses religieuses c’est toujours l’antiquité qui fait loi, et les innovations mêmes ne se font qu’au nom du passé. Ici, comme il arrive souvent, la prétention des starovères est peu justifiée ; s’ils gardent les anciens livres russes, leurs adversaires sont revenus à l’ancienne liturgie byzantine, en sorte que c’est le parti qui se réclame le plus d’elle qui a le moins de titres à l’antiquité.

Le principe du raskol, qui parfois aboutit aux plus étranges rêveries du mysticisme, est essentiellement réaliste. Sous ce matérialisme du culte se laisse cependant découvrir une sorte d’idéalisme, de spiritualisme grossier. Les aberrations religieuses ont toujours un côté élevé, souvent un côté sublime dans la déraison même. Tout n’est point ignorante superstition dans l’attachement scrupuleux du starovère pour ses cérémonies traditionnelles. Cette vulgaire hérésie n’est en somme qu’un ritualisme excessif et logique jusqu’à l’absurde. Si le vieux-croyant révère ainsi la lettre, c’est qu’à ses yeux la lettre et l’esprit sont indissolublement unis, et que dans la religion les formes et le fond sont également nécessaires à l’homme. Pour lui, la religion est quelque chose d’absolu dans le culte comme dans le dogme, c’est un tout complet dont toutes les parties se tiennent à ce chef-d’œuvre de la Providence, nulle main humaine ne peut toucher sans le défigurer. A chaque parole, à chaque rite, le starovère cherche une raison cachée. Il se refuse à croire qu’aucune des cérémonies, aucune des formules de l’église soit vide de sens ou de vertu. Pour lui, rien d’accessoire, rien d’indifférent ou d’insignifiant dans le service divin. Tout est saint dans les choses saintes, tout est profond et mystérieux, tout est inconnu table et adorable dans le culte du Seigneur. Sans pouvoir formuler sa doctrine, le starovère fait de la religion une sorte de figure achevée, de représentation adéquate du monde surnaturel. Avec une naïve logique, il exige du culte une absolue perfection impossible à réaliser. Ainsi compris, le vieux-croyant, qui se faisait brûler vif pour un signe de croix, et arracher la langue pour un double alléluia, devient éminemment respectable. Ainsi entendu, le schisme russe est essentiellement religieux ; ce qui l’égaré, c’est en quelque sorte l’excès de religion. Son formalisme a pour principe le symbolisme, ou, pour mieux dire, le raskol n’est que l’hérésie du symbolisme. Là est son originalité, là est sa valeur dans l’histoire