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de Bar, d’Épernon, veuf alors de Marguerite de Candale, fut assez bien vu d’elle pour que la chronique ait parlé de velléités d’union entre eux. L’Histoire amoureuse du grand Alcandre, qui traite très pertinemment le chapitre de la galanterie à la cour d’Henri IV, mentionne en termes catégoriques les dispositions très bienveillantes de Catherine. Il est probable que, si d’Épernon s’avisa en 1597 de revenir au projet de 1584, il dut s’apercevoir que les temps étaient changés et que le roi de France n’avait plus à son endroit les idées du roi de Navarre ; mais en 1584 il n’est guère douteux qu’il n’a tenu qu’à lui d’épouser l’héritière d’Albret. Quel a été l’obstacle ? La question religieuse sans doute. Les fureurs catholiques qui le désignaient hautement comme suspect d’hérésie auraient eu trop beau jeu. La jalousie d’Henri III pouvait s’éveiller aussi et soupçonner que ses intérêts avaient été sacrifiés dans cette intime alliance avec le Béarnais. D’Épernon ne voulut pas compromettre le présent en vue d’un avenir problématique, et qui paraissait d’ailleurs fort éloigné. Henri III, ne l’oublions pas, n’avait que trente-trois ans à cette date, et, comme Chicot le faisait malicieusement observer au cardinal de Guise au dîner de sa majesté, « jamais homme ne cassa mieux que lui[1]. »

Quoi qu’il en soit du mariage, le pacte d’union fut scellé à Nérac, et ce rôle d’intermédiaire entre le roi de France et son héritier présomptif, que d’Épernon transformait volontiers en patronage, il le remplit fidèlement au travers des fluctuations plus apparentes que réelles de la politique de son maître jusqu’à la crise de 1588. Sa conduite personnelle fut très nette. Ne négligeant rien pour faire acte de zélé catholique, témoignant même en toute occasion une violente animosité contre les huguenots, soit par ardeur de conviction, soit pour se laver de l’accusation d’hérésie que les Guises lui jetaient à la tête, renouvelant sans cesse auprès de Navarre les conseils d’abjuration, mais invariablement attaché à ses droits, il persévéra dans cette protection quelque peu altière de ses intérêts tant que vécut Henri III. Navarre le payait de son mieux en paroles de gratitude, surtout en acceptant hautement le rôle de protégé. — Avouons que de tels rapports les avaient mal préparés l’un et l’autre au changement de situation qui fut pour tous deux le brusque résultat du coup de couteau de Jacques Clément. Tout ce qui scandalise d’une part et étonne de l’autre dans leur attitude respective, à dater de l’heure où le Béarnais devint Henri IV, procède logiquement de ce passé que ni l’un ni l’autre n’oublièrent. L’égal de la veille fut un sujet sans respect ni fidélité ; le souverain, sûrement

  1. L’Estoile, édit. Petitot, t. XLV, p. 307.