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soit qu’il fût encore à Calais lors du 24 août 1572, faisant son apprentissage de soldat sous les ordres d’un ami de son père, le gouverneur de la ville, Mauléon de Gourdan[1], soit qu’il fût de retour en Gascogne, au manoir paternel. Caumont quitta Navarre de son plein gré, beaucoup moins par scrupule religieux que par antipathie de nature pour l’austérité calviniste ; sa place n’était pas au prêche, elle était au Louvre d’Henri III. On sait quel vol il y prit à partir du moment où Quélus mourant le légua en quelque sorte à l’affection de son maître. Dès 1584, son influence y effaçait toute autre, et on le vit bien quand la mort du dernier des Valois, François, duc d’Anjou, vint poser à tous les esprits le problème de la succession éventuelle au trône. La loi salique déférait sans conteste la couronne au représentant de la branche de Bourbon, c’est-à-dire au roi de Navarre ; mais l’hérésie n’infirmait-elle pas son droit ? Telle était, sans parler des catholiques ardens, l’opinion soutenue dans le conseil par tous les ministres sans exception, par Joyeuse, acquis aux Guises, surtout par Catherine, mortelle ennemie de son gendre. D’Épernon, — il avait été élevé sous ce nom à la dignité ducale trois ans auparavant, — fit prévaloir le sentiment contraire dans l’esprit d’Henri III. Entouré d’un faste royal, spontanément suivi de la noblesse gasconne, qui saisit cette occasion de le revendiquer pour son chef, il alla trouver son ancien maître à Pau et à Nérac, saluer publiquement en lui l’héritier présomptif du roi de France, mais l’adjurer de mettre son titre au-dessus de toute contestation en renonçant au calvinisme. On peut croire que d’Épernon n’obéit pas en cette circonstance aux seules inspirations de la conscience. Partisan sincère du Béarnais et en souvenir du passé et par haine des Lorrains et de la reine-mère, leurs communs adversaires, il ne fut sûrement pas insensible à la vaniteuse satisfaction de s’ériger aux yeux de son premier protecteur en protecteur à son tour, en avocat unique, mais tout-puissant auprès d’Henri III de ses droits hautement déniés de toute la cour, et, il faut bien le dire, de la grande majorité du pays. Il parla noblement le langage de la politique française, habilement celui de l’intérêt de Navarre ; il parla aussi au nom de son dévoûment personnel, non sans quelque superbe toutefois, où perçait trop l’enivrement de la faveur. L’homme d’esprit à qui il avait affaire n’a jamais mieux justifié sa réputation de finesse. Loin de s’offusquer des grands airs d’un ambassadeur si majestueux, loin surtout d’en sourire, il renchérit dextrement sur les distinctions et les respects dont l’orgueil du Gascon avait soif ; mais il eut soin d’en faire hommage au représentant du roi,

  1. Mauroy, Discours de la vie et faits héroïques de Bernard de La Valette, admiral de France, Metz 1624.