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portes de Paris. Otage du protestantisme dans La Rochelle, il est permis de douter que même alors Henri III eût renié cette foi qui, pour mettre le comble aux scandaleuses bizarreries de sa nature, n’en était pas moins sincère. La générosité de Navarre, sa politique, si l’on veut, n’eût pas d’ailleurs exigé de son roi un sacrifice aussi dégradant. Ce qu’on peut affirmer en toute assurance, c’est qu’à dater du jour où il eût cherché son salut parmi les calvinistes, Henri III, resté ou non catholique, eût irrémédiablement forfait aux yeux de la France son titre royal et ne l’eût pas transmis à son admirable successeur. — En restant fidèle à son maître, en accourant près de lui au premier appel après le coup frappé sur Guise, en formant avec les 4,000 ou 5,000 hommes qu’il amena le noyau catholique de l’armée royaliste qui permit à Henri III, même avec Navarre à ses côtés, de faire acte de souverain libre, d’Epernon, — on ne saurait lui refuser ce mérite, — n’a pas seulement épargné à son nom l’ignominie de la trahison ; il a sauvé son maître et par là même rendu possible l’avènement ultérieur d’Henri IV.


III

C’est là un service national, le seul, à vrai dire, que d’Epernon ait rendu à la France dans sa longue carrière de quatre-vingt-huit ans. Il est fâcheux pour sa gloire qu’il ait été involontaire et que lui-même ait pris soin de nous amplement édifier à cet égard. Cette royauté d’Henri IV, à laquelle il avait incontestablement frayé les voies depuis 1584, nul ne l’a plus cordialement haïe dès la première heure, reconnue avec plus de restrictions, plus dangereusement battue en brèche sous prétexte de scrupules religieux, davantage affaiblie par sa retraite du camp de Saint-Cloud, traversée de plus d’obstacles et de sourdes intrigues dans toute son œuvre de revendication, jusqu’au jour où, cessant enfin de se contraindre, il a signé un traité avec l’étranger pour la renverser. Grâce à Dieu, il était trop tard. Une des singularités du temps est sans doute de retrouver la qualification de Béarnais donnée à Henri IV dans un acte solennel qui porte la date de 1596. A d’Epernon appartient le triste honneur de cet anachronisme : tel est le nom qu’il donne à son roi, six ans après Ivry, trois ans après l’abjuration, en s’alliant contre lui avec Philippe II et le Savoyard. On peut à bon droit s’indigner, faut-il s’ébahir et crier à l’inconséquence ? La contradiction n’est ici qu’à la surface ; en réalité, la vraie logique triomphe, j’entends celle des caractères. Au-dessous d’Henri IV, politique du premier ordre, gloire militaire qui éclipsait toute autre souverain résolument consacré à la mission de sauver la France, mais aussi et avant tout à celle de restaurer l’autorité royale, volonté ferme autant qu’adroite,