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d’Epernon par Henri IV, d’août 1588 à janvier 1589, et que publie le volume supplémentaire de sa correspondance. On sait d’ailleurs qu’au premier avis des événemens d’Angoulême Navarre, abandonnant la conquête presque assurée du château de Glisson, accourut au secours de son ami. J’incline à penser que la cordialité n’existait déjà plus que du côté d’Henri. Depuis Coutras surtout, l’œil perçant de d’Épernon lisait trop clairement l’avenir de son glorieux compatriote. Une secrète animosité couvait sûrement déjà dans son cœur envieux avant d’éclater aigrement, comme il arriva quelques mois plus tard dans la campagne des deux rois contre la ligue. Quoi qu’il en soit, réconcilié avec Henri III, partisan compromis de vieille date des droits d’Henri de Bourbon à la succession au trône, d’Épernon avait brûlé ses vaisseaux ; il appartenait tout entier et sans retour possible à la maison de France dans la lutte solidaire de ses deux chefs contre les usurpations des Lorrains. Guise n’a pu sérieusement espérer son concours, d’Épernon se fût avili à le lui prêter, et, — l’homme était trop avisé pour s’y méprendre, — avili en pure perte. Devenu roi de France, Henri de Guise, l’eût-il voulu, ne pouvait le sauver des rancunes exaspérées de son parti. C’est donc faire trop peu d’honneur à la rare sagacité de d’Épernon que de voir dans sa réponse aux ouvertures du Balafré et dans ses assurances d’amitié autre chose qu’un leurre, assurément fort pardonnable. Le parti qu’il en tira pour le bien de son maître, en le prévenant à temps des résolutions suprêmes prises contre son pouvoir, suffirait, s’il en était besoin, à le justifier.

Voilà pour l’incident récemment mis au jour de ces négociations entre Guise et d’Épernon. C’est à tort, il n’en faut pas douter, que l’on a cru y trouver la preuve d’une entente réelle[1]. A tous ses vices, d’Épernon n’a pas joint l’ingratitude en préparant une défection qui eût sans contredit consommé la ruine de son bienfaiteur. Supposez en effet le gouverneur de l’Angoumois passé du côté de la ligue. De deux choses l’une : ou le roi reculait devant l’exécution du 23 décembre, et Guise sans plus tarder le dépouillait de la couronne, ou l’assassinat avait lieu, et dans ce cas, pris entre deux feux, Mayenne au nord, d’Épernon au midi, Henri III n’avait plus d’autre ressource que de se jeter dans les bras de Navarre et de le suivre sous les murs de La Rochelle, car cette armée huguenote, si brave, si esclave du devoir, qui sauva au pont de Tours, sous les ordres du propre fils de Coligny, l’instigateur des massacres du 24 août, ne pouvait songer, réduite à ses seules forces, à entreprendre l’heureuse campagne qui le ramena triomphant aux

  1. Voyez, dans la Revue du 1er octobre 1872, la seconde partie de l’étude de M. Ch. Giraud sur Sixte-Quint.