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corrections de Nikone comme un emprunt à Rome ou aux protestans, comme une religion nouvelle. Contre ces séditieux, l’église employa les supplices partout usités contre les hérétiques : elle ne fit que donner au schisme une impulsion nouvelle en lui donnant des martyrs. Dix ans après la proclamation de la révision liturgique, un concile en déposait solennellement le hardi promoteur, victime de la jalousie des boïars et de sa propre arrogance. Pour le raskol, la déposition de Nikone parut une justification. La condamnation du réformateur semblait devoir entraîner la condamnation de la réforme. Aussi grande fut la stupéfaction populaire quand le concile qui venait de déposer l’auteur des corrections liturgiques lança l’anathème contre les adversaires de ces corrections. La part prise à cette excommunication par les patriarches orientaux l’affaiblit au lieu de la fortifier, les dissidens refusant à des évêques grecs ou syriens, qui ne connaissaient point une lettre slave, le droit de prononcer sur des livres slavons.

Dans le monde théologique, si habitué aux subtilités, jamais peut-être d’aussi longues querelles n’eurent d’aussi futiles motifs. Le signe et la forme de la croix, la direction des processions à l’occident ou à l’orient, la lecture d’un des articles du symbole, l’orthographe du nom de Jésus, l’inscription mise au-dessus du crucifix, l’alléluia répété deux ou trois fois, le nombre de prosphores ou pains eucharistiques à consacrer, tels sont les principaux points de la controverse qui depuis Nikone divise l’église russe. Les orthodoxes font le signe de la croix avec trois doigts, les dissidens avec deux comme les Arméniens ; les premiers admettent comme nous la croix à quatre branches, les seconds ne tolèrent que la croix à huit branches ayant une traverse pour la tête du Sauveur et une autre pour ses pieds ; l’église, depuis Nikone, chante trois alléluia, les raskolniks en chantent deux. Les dissidens justifient leur entêtement par des interprétations symboliques ; d’un simple rite, ils aiment à faire toute une profession de foi. Ainsi, dans leur signe de croix, ils prétendent avec les trois doigts fermés rendre hommage à la Trinité, et avec les deux autres à la double nature du Christ, en sorte que, sans aucune parole, le signe de la croix devient une adhésion aux trois dogmes fondamentaux du christianisme : trinité, incarnation, rédemption. Ils interprètent de même le double alléluia venant après trois gloria, reprochant à leurs adversaires de négliger dans leurs rites l’un ou l’autre des grands dogmes chrétiens. Ces interprétations, appuyées sur des textes corrompus ou de prétendues visions, montrent de quel singulier alliage de grossièreté et de subtilité s’est formé le raskol.

A en juger par l’origine de la querelle, le culte de la lettre, le respect servile de la forme est l’essence du schisme. Pour le