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point de départ de l’étude et de la correction des textes, et par suite des grandes luttes théologiques. Les missels sortis des presses russes du XVIe siècle augmentèrent d’abord le mal auquel ils eussent dû remédier. Aux fautes des manuscrits sur lesquels ils furent composés, ces missels donnèrent l’autorité et la diffusion de l’impression. Aux variantes et aux divergences des copistes, ils substituèrent une unité, une unanimité d’où les anciennes erreurs tirèrent une force nouvelle.

La corruption de la liturgie slavonne russe semblait définitive, lorsqu’au milieu du XVIIe siècle le patriarche Nikone en décida la réforme. D’un esprit cultivé pour son temps et son pays, d’un caractère entreprenant et inflexible, Nikone possédait tout ce qu’exigeait une telle résolution, l’instruction, la volonté et le pouvoir, car par son influence sur le tsar Alexis il gouvernait l’état presque autant que l’église. C’était une chose hardie qu’une telle œuvre d’érudition dans la Moscovie antérieure à Pierre le Grand. Par l’ordre du patriarche, d’anciens manuscrits grecs et slavons furent rassemblés de toutes parts, des moines de Byzance et de l’Athos furent appelés à comparer les versions slaves aux originaux grecs. Des livres liturgiques, Nikone effaça les interpolations de l’ignorance ou de la fantaisie des copistes, et dans les rites épurés il introduisit la pompe byzantine. Les nouveaux missels imprimés, le patriarche les fit adopter par un concile, et, appuyé sur le bras séculier, il en imposa l’usage à tous les états moscovites.

« Un grand tremblement me prit, dit un copiste du XVIe siècle, et l’épouvante me saisit quand le révérend Maxime le Grec me donna l’ordre d’effacer quelques lignes d’un de nos livres d’église[1]. » Le scandale ne fut pas moindre sous le père de Pierre le Grand : la main qui touchait aux livres sacrés fut de toutes parts traitée de sacrilège. Soit instruction, soit esprit de corps, le haut clergé soutint le patriarche, le bas clergé et le bas peuple opposèrent une vive résistance. Après plus de deux siècles, un grand nombre de fidèles persistent toujours à garder les anciens livres et les anciens rites consacrés par les conciles nationaux et la bénédiction des patriarches. C’est là le point de départ du schisme, du raskol qui déchire encore l’église russe. A la prendre de haut, cette contestation roule sur l’épineuse question de la transmission et de la traduction des textes sacrés, question qui plus d’une fois a divisé les églises de l’Occident. En Moscovie, il n’y avait pas un homme capable de porter en connaissance de cause un jugement sur le fond de la dispute : la querelle n’en fut que plus violente et plus longue. Des moines, des diacres, souvent de simples sacristains dénoncèrent les

  1. Prénié Daniila mitropolita Moskovskago s’inokom Maksimom, p. 10. Schédo-Ferroti, p. 32.