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existant à Terre-Neuve. Insoluble jusqu’à ce jour, nous inclinons à croire qu’elle n’a plus désormais de solution possible dans l’ordre des idées dont se sont précédemment inspirés les négociateurs. Pour le faire comprendre, prenons la question telle qu’elle s’impose actuellement sous nos yeux. Pendant la campagne de 1873, M. le gouverneur de Terre-Neuve évaluait à 20,000 âmes la population qui s’est implantée sur notre côte ; en faisant la part d’une exagération dictée par un légitime amour-propre, il est permis d’affirmer qu’elle a plus que triplé dans l’espace de quinze ans. Ces Anglais, misérables au début, sont maintenant installés en bon nombre dans une grande partie de nos havres, non plus comme autrefois à titre de tolérance, mais ouvertement ; ils pêchent librement, avec toute sorte de filets, sur les points que nous n’occupons pas, et fréquemment aussi dans les mêmes parages que nos pêcheurs. Ce sont non plus des familles abandonnées pour ainsi dire dans un pays désert, mais des agglomérations compactes de gens vivant dans l’aisance et travaillant à leur fortune. L’administration de Saint-Jean s’en occupe, leur envoie des pasteurs protestans, songe à leur donner des écoles, en un mot met tout en œuvre pour développer rapidement la formation des villages sur toute l’étendue du French-Shore. Les croiseurs anglais protègent partout leurs nationaux, sous la condition toutefois qu’ils ne gênent pas les nôtres. Il ne s’agit plus d’empiétemens partiels, qui n’atteignaient en réalité que la question de droit, c’est un envahissement en règle dont les progrès s’accentuent tous les ans. Le jour n’est pas loin où changeront les rôles, et l’on peut prévoir que bientôt sur la côte française les Français seront des intrus. Que fait la division navale chargée de protéger la pêche ? Son rôle est bien ingrat : partout elle constate le développement de la concurrence étrangère, partout elle proteste en invoquant notre droit exclusif, et toujours on lui répond que ce droit ne nous appartient pas.

Tout n’est pas là, car la question des pêches a cessé d’être le point d’intérêt dominant à Terre-Neuve. Depuis 1866, de nouvelles mines de plomb argentifère ont été découvertes dans la région qui s’étend parallèlement aux collines de la baie de Saint-George et sur la côte qui forme la rade est de Port-à-Port (côte ouest). L’absence de routes praticables ne laisse au minerai d’autre débouché que le rivage, et ce rivage est occupé par nous. Comme en 1859, la législature de Saint-Jean a favorisé de toute son action la mise en exploitation de ces mines ; nous avons protesté, et, par ordre du gouvernement de la reine, les concessions ont été déclarées sans valeur et les travaux interrompus. Faut-il en conclure que jamais ils ne seront repris ? Pouvons-nous détenir ainsi improductif un capital que les clauses d’un traité laissent entre nos mains ? En présence