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en 1837, émettaient l’opinion suivante : « S’il existait réellement, dans les limites du district en question, un espace véritablement suffisant pour que les pêcheurs des deux nations pussent y pêcher sans être en contact les uns avec les autres (interfering with each others), nous penserions que ce pays n’est pas astreint à empêcher ses sujets d’y pêcher. Il paraît cependant, d’après le rapport de l’amiral Halkett, que cela est difficilement praticable, et nous pensons que, suivant la véritable portée du traité et de la déclaration, les sujets britanniques sont exclus (precluded) du droit d’y pêcher, s’ils ne peuvent le faire sans apporter quelque gêne à la pêche française. » C’est alors que lord Palmerston, répondant aux réclamations déjà nombreuses formulées par le gouvernement français au sujet de l’établissement des premières familles anglaises sur notre côte, déclare que « l’on ne trouve dans aucun des documens publics du gouvernement britannique que le droit des sujets français à la pêche exclusive, soit de la morue, soit du poisson en général, ait été positivement reconnu (specifically recognised). » Ainsi de 1713 à 1738 nous avons exercé à Terre-Neuve un droit de pêche que les hommes d’état et les jurisconsultes de l’Angleterre ont considéré comme exclusif, et ce n’est qu’à partir de cette dernière date que le droit exclusif se transforme en tolérance, ou tout au moins en droit concurrent. Il est malaisé de croire que le souvenir, parfois assez gênant, d’une politique entièrement contraire à celle qui prévaut aujourd’hui dans le parlement anglais ne soit pas venu s’ajouter aux raisons d’intérêt direct qui ont fait souvent au gouvernement de la reine une obligation de chercher à résoudre à l’amiable des difficultés sans cesse renaissantes.

Quant à l’attitude hostile de la législature locale de Terre-Neuve, elle est en grande partie la conséquence de l’émancipation d’une colonie qui se montre aujourd’hui jalouse à l’excès de ses pouvoirs, la considère comme une atteinte à sa liberté toute intervention de la métropole dans une affaire que seule, à ses yeux, elle a droit de juger. Les manifestations qui se produisirent à Saint-Jean en 1857, quand on y connut l’échange des ratifications de la convention Pigeart, en sont la preuve évidente. La question des pêcheries était loin de comporter autant de véhémence ; en réalité, on en fit un prétexte pour protester contre l’initiative anglaise, qui fut considérée comme un grave oubli des prérogatives constitutionnelles. On s’en émut au Canada, dans la Nouvelle-Écosse ; les hommes les plus importans excitaient alors l’opinion et publiaient dans les journaux de violentes attaques contre l’Angleterre ; l’évêque catholique de Terre-Neuve alla, dans une lettre restée célèbre, jusqu’à réclamer au besoin l’appui des États-Unis.

Nous avons indiqué l’origine et la nature de la question de droit