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le même, se rajeunissait ; le matelot, qui vit aujourd’hui sous la dépendance de l’armateur, retrouvait le droit de discuter son salaire et d’exiger qu’on comptât avec lui. Les ports de l’Océan, ceux du nord de la Manche, Dunkerque, Boulogne et Calais, dont la population maritime est si vaillante, avaient alors le champ libre. Notre exploitation se répandait partout sur les côtes au lieu d’y laisser des vides, et se défendait d’elle-même contre l’envahissement étranger.


III.

Il reste à parler de la situation précaire qui nous est faite à Terre-Neuve et des difficultés qui sont aujourd’hui l’objet de l’attention des deux gouvernemens de France et d’Angleterre.

Il y a quarante ans, on trouvait dans nos havres une cabane, plus misérable encore que celles de nos pêcheurs, où vivait une famille anglaise. La misère qu’on y respirait, l’aspect famélique des habitans, la pensée que ces pauvres gens allaient se trouver sans ressources pendant les longs mois d’hiver, tout excitait en vous la compassion la plus légitime et la plus vive. Tous nos maux sont venus de là. Ces premiers résidens savaient se rendre utiles, et les capitaines les attiraient volontiers dans les havres ; c’était, à tout prendre, une société pour les soirées d’automne. L’hiver, on leur confiait la garde du chaufaud et du matériel qu’on laissait sur la plage. Il arrivait parfois que le gardien se montrait peu fidèle ; pour se justifier, quand le printemps ramenait nos navires, il imputait aux pêcheurs de phoques les vols commis sur l’habitation. Souvent le capitaine avait de son côté quelques raisons de se montrer facile, et l’on vivait en famille en se rendant tous les services que comporte l’amitié. L’Anglais pêchait tout à son aise ; qui songeait à le lui défendre ? La pêche était son seul moyen d’existence ; en la lui supprimant, on l’eût condamné, lui, sa femme et ses enfans, à mourir de faim. On lui fournissait des lignes, on l’aidait à construire un bateau ; en partant, on lui laissait des vivres. De fait, il n’y avait là qu’une question de simple humanité sans conséquences pour l’avenir. Or il arriva deux choses : l’Anglais eut beaucoup d’enfans, et, nos armemens diminuant d’importance, plusieurs points de notre côte, du French-Shore, comme on l’appelle, se trouvèrent abandonnés ; les résidens s’y implantèrent, et depuis n’en sont plus sortis. C’est alors qu’on ouvrit les yeux. La question n’était autre que celle qui déjà s’était présentée en 1783 ; mais elle devint infiniment plus complexe, et depuis trente ans les deux nations cherchent à la résoudre sans qu’elle ait fait un seul pas. Nous inférons des termes de l’article 13 du traité d’Utrecht un droit de pêche exclusif sur toute la partie de côte spécifiée dans l’acte de 1783. De son côté,