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aucune population sur la partie de côte que le traité réservait à nos pêcheurs. La côte était déserte, la concurrence impossible ; le droit exclusif de pêche s’imposait de lui-même, sans qu’il fût besoin de le spécifier dans le traité.

La période qui s’écoula de 1713 à 1760 fut heureuse pour nos pêcheries. Appuyées sur l’île du cap Breton, où l’on vit s’élever Louisbourg, elles se répandaient dans le golfe Saint-Laurent, réussissaient à Terre-Neuve et n’occupaient pas moins de 16,000 marins. Le traité de Paris ruina les belles espérances qu’on fondait alors sur les colonies du nord de l’Amérique, en nous enlevant le Canada, le cap Breton, toutes les îles et toutes les côtes du golfe Saint-Laurent. Comme compensation, nous obtenions en toute propriété les deux îles Saint-Pierre et Miquelon, sous condition de n’y pas élever de fortifications. Aucune modification ne fut alors apportée dans l’exercice de nos droits de pêche à Terre-Neuve ; on se contenta de rappeler à cet égard les dispositions du traité d’Utrecht.

De 1713 à 1783, des contestations s’élevèrent au sujet de la concurrence faite à nos pêcheurs par les pêcheurs anglais dans les parages du cap Bonavista. La population de l’île s’était accrue, et quelques familles anglaises avaient profité du désarroi que l’état de guerre apportait dans nos pêcheries pour s’établir sur notre côte. Il fallait que la France réclamât l’expulsion des intrus ou renonçât à l’intégrité de son droit. La première mesure ne pouvait s’appliquer aisément à la veille d’un traité de paix. Le gouvernement britannique tourna la difficulté en obtenant que la France renoncerait à l’exploitation du littoral envahi (du cap Bonavista au cap Saint-Jean), et recevrait en échange une étendue de côte équivalente (depuis le cap Saint-Jean jusqu’au cap Raye), où ses droits s’exerceraient dans les conditions assignées par le traité d’Utrecht. Sur la demande du cabinet de Versailles, la déclaration suivante fut ajoutée au texte du traité : « sa majesté britannique prendra les mesures les plus positives pour prévenir que ses sujets ne troublent en aucune manière par leur concurrence la pêche des Français pendant l’exercice temporaire qui leur est accordé sur les côtes de l’île de Terre-Neuve, et elle fera retirer à cet effet les établissemens sédentaires qui y seront formés. » — Le traité d’Amiens ne changea rien à la question. Les préliminaires du 9 vendémiaire an X annoncent, il est vrai, que les droits de la France seront maintenus tels qu’ils existaient avant la guerre, sauf quelques modifications qui déjà semblaient nécessaires ; mais ce projet n’eut pas de suites : on revint simplement au texte de 1783. Les traités de Paris, 30 mai 1814 et 20 novembre 1815, rétablissent l’état de choses existant en 1792, et par conséquent reviennent, comme le traité d’Amiens, à l’acte de 1783, confirmatif de celui d’Utrecht.