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qui employait 4,000 marins en 1860, n’en occupait plus que 2,500 en 1863. En 1867, elle reprenait à peu près son importance, qu’elle conserve aujourd’hui grâce à l’activité toujours croissante de la colonie de Saint-Pierre. Ce petit port armait quatre-vingts goëlettes en 1868 ; il en arme aujourd’hui deux cents. On en peut évaluer le personnel à 1,800 hommes, pris en grande partie dans les équipages des navires venus de France avec sécheries à Saint-Pierre, et qui ne conservent que 20 matelots environ pour aller pêcher sur les bancs.

Cette industrie forme-t-elle en réalité des matelots pour le service courant des bâtimens de la flotte ? Répond-elle aux sacrifices que l’état s’impose en la subventionnant ? Nous ne le pensons pas. Examinez les équipages des navires bancquiers : vous y verrez surtout des hommes faits, jeunes encore, mais vieillis à la mer, ayant servi pour la plupart pendant trois ans et plus sur les bâtimens de l’état, congédiés provisoirement du service et qui généralement ne sont pas rappelés. Or ce qu’il faut à la flotte, ce sont des jeunes gens, vifs, alertes, pouvant se plier sans peine à la discipline militaire, si lourde à porter pour les classes de l’inscription maritime. Nous comptons sur la grande pêche pour former nos marins ; mais, parmi nos gabiers, combien en trouvons-nous ayant fait leur apprentissage à Terre-Neuve ? En revanche, plus d’un pêcheur des bancs raconte avec orgueil ses anciens exploits dans la mâture d’une frégate ou d’un vaisseau. Ne serait-il pas plus exact de dire que l’état complète à bord de ses navires l’instruction des hommes de l’inscription maritime et que les armateurs en profitent ? Nous parlons ici des matelots faisant la pêche, et non des 2,000 « graviers » environ, répartis à Saint-Pierre et sur les côtes de Terre-Neuve, provisoirement inscrits aux matricules de l’inscription maritime, figurant aux rôles d’équipage, et pour lesquels les armateurs touchent la prime. Ce sont en général des malheureux sans ressources, incapables de s’en créer dans leur pays par leur travail, trop contens de trouver à vivre pendant six mois de l’année, et de toucher, pour ce temps, un salaire qui varie de 50 à 150 francs. Leur condition est fort misérable : ils vivent sur les graves, entassés la nuit dans un cabanon souvent infect, maniant la morue, l’étendant au soleil, l’entassant en piles, et la chargeant sur les navires. À cette école, ils ne contractent guère que des habitudes d’indiscipline et de malpropreté. Marins plus que médiocres, ils ne sont pour la marine que d’assez tristes recrues, bien inférieures pour la plupart aux hommes de la conscription.

L’état ne nous paraît donc pas avoir, au point de vue militaire, plus d’intérêts engagés dans la question des grandes pêches qu’il n’en a dans toute autre branche de son commerce maritime, et tout nous porte à croire qu’en les favorisant par des mesures spéciales