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loupes, le bâtiment lui-même est souvent compromis soit à la suite d’un abordage, soit par le mauvais temps, et parfois la flottille entière se trouve en perdition. Pendant la tempête du 23 août 1873, vingt goëlettes de Saint-Pierre ont été englouties sur les bancs.

La première pêche se termine vers le 10 juin. À cette époque, les bancquiers rentrent à Saint-Pierre, déposent leur poisson sur les graves, s’il doit être séché, le transbordent sur les long-courriers venus de France, s’il doit être expédié comme morue verte, ou le conservent à bord dans l’espoir de compléter rapidement leur chargement. À l’arrivée du capelan, chacun fait provision de boitte et retourne sur les bancs. Le petit port de Saint-Pierre prend, à la rentrée des bancquiers, une animation pittoresque. En quelques jours, la rade se couvre de navires ; chaque vent favorable en amène plusieurs au mouillage, c’est un plaisir de les voir avec leurs voiles tannées, leurs chaloupes en drome, louvoyer dans les passes, choisir leur poste et le prendre avec une rare habileté. La division navale, venue des Antilles pour surveiller la pêche, est alors en partie réunie devant Saint-Pierre ; des hauteurs qui dominent la rade, on aperçoit cette flotte de trois cents navires à l’ancre, que les grandes mâtures des bâtimens de guerre semblent couvrir de leur pavillon.

C’est l’encornet qui remplace le capelan sur les hameçons ; moins exact que ses confrères, il se fait souvent attendre, parfois même il n’arrive pas : dans ce cas, on revient au hareng. Pour éviter une perte de temps, bon nombre de pêcheurs prennent l’encornet sur les bancs. Dès qu’ils ont complété leur chargement ou quand la saison devient trop rigoureuse, les bancquiers retournent en France. Les uns s’y rendent directement, les autres rentrent à Saint-Pierre, pour embarquer leur personnel et prendre leurs dernières dispositions. Vers la fin de septembre, tous nos bâtimens sont partis.

On trouverait difficilement, en raison des dangers qu’elle présente, une plus rude école du métier de la mer que la pêche des bancs ; aussi l’état la considère-t-il comme égalant en importance les pêcheries des côtes au point de vue du recrutement des équipages de la flotte. Elle emploie chaque année 4,000 hommes en moyenne, rompus à toutes les fatigues et formant incontestablement une classe de matelots d’élite. Au point de vue commercial, on estime que, dans les années où la pêche réussit partout, les résultats obtenus sur les bancs surpassent environ d’un tiers ceux que l’on obtient sur les côtes. Cette différence serait plus sensible encore, si l’exploitation bancquière atteignait le développement qu’elle comporte : elle est malheureusement sujette à de grandes fluctuations. Deux mauvaises années consécutives entraînent à des réductions considérables dans les armemens. C’est ainsi que la pêche des bancs,