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Terre-Neuve. Le changement de direction du gulf-stream n’est pas la seule conséquence du choc de ces deux masses d’eau : le courant qui arrive du nord entraîne pendant une bonne partie de l’année un très grand nombre de ces immenses montagnes de glace (ice-bergs) arrachées à la zone arctique ; au contact des eaux chaudes du gulf-stream, ces montagnes de glace se fondent et opèrent ainsi, depuis plus de cinq mille ans, le dépôt des pierres et de toutes les matières solides qu’elles renferment et charrient depuis qu’elles ont quitté les continens polaires. En même temps, le gulf-stream apporte aux eaux tropicales son tribut d’innombrables animaux marins que la mort saisit au contact des eaux froides, dont les coquilles et les débris s’amoncellent sans cesse, et finissent, avec l’aide des siècles, par combler les abîmes de la mer. »

Le Grand-Banc, le Banc à Vert et le Banc de Saint-Pierre forment un groupe qui semble se rattacher directement à l’île de Terre-Neuve. Le Banc de Misaine, le Banc d’Artimon, le Banquereau, le Banc de l’île de Sable, le Middle-Ground et le Banc du Canseau sont plus rapprochés de la Nouvelle-Écosse. C’est là, sur ces hauts-fonds couverts d’herbes marines, que la morue s’est donné rendez-vous. Descend-elle avec le courant polaire, cherchant les régions moins froides pour y frayer tout à son aise ? Est-elle poursuivie par un poisson plus gros ? Quelles sont les raisons qui la font affluer sur un point plutôt que sur un autre, et se déplacer tout à coup, sans causes apparentes, au désespoir de nos pêcheurs, qui constatent chaque année ces étranges caprices sans pouvoir les expliquer ? Nul ne saurait le dire. On est réduit aux conjectures sur la loi qui régit les migrations bizarres de cette innombrable famille. Ce qui doit en tout cas nous rassurer sur la conservation de l’espèce, c’est sa prodigieuse fécondité ; on compte en effet par millions les œufs déposés par la femelle et que vient féconder le mâle.

Dès que la flottille des bancs a terminé son approvisionnement de « boitte », elle appareille et va se mettre en pêche. Les navires venus de France s’établissent pour la plupart sur le Grand-Banc et sur le Banquereau ; les goëlettes armées dans la colonie de Saint-Pierre se tiennent généralement sur le Banc de Saint-Pierre et dans les parages voisins. Chacun, après avoir choisi sa place, laisse tomber l’ancre et débarque ses chaloupes. Dès lors commence pour les équipages une vie de rude labeur et de dangers presque incessans. Tous les jours, vers quatre heures de l’après-midi, les lignes de fond ou palangres sont amorcées et disposées dans les chaloupes. Ajoutées les unes aux autres, elles mesurent jusqu’à 6 kilomètres d’étendue, et ne portent pas moins de 500 hameçons. On les tend sur le fond au moyen d’ancres ou de pierres en marquant la place par des bouées. Les chaloupes sont montées par 7 ou 8 hommes.