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où l’on n’a d’autre peine que celle de le ramasser. C’est un petit poisson sans vigueur, victime inoffensive de la morue, qui le poursuit jusque dans le nord. Malgré certain air de famille, ce serait faire injure à la sardine que de supposer qu’il en est le parent ; son passage est de courte durée : à la fin de juillet, il a disparu. L’encornet vient en dernier lieu. Il rappelle à peu près la seiche de nos pays ; on emploie, pour le pêcher, une ligne armée de plusieurs hameçons réunis en faisceau et qui prend le nom de turlutte ; la turlutte est peinte en rouge pour attirer la curiosité vorace du poisson, qui se prend avec la plus grande facilité. Au mois d’août, quand l’encornet donne, la population de Saint-Pierre n’a d’autre occupation que cette pêche ; chacun s’en mêle, sans distinction d’âge ni de sexe ; des enfans qui marchent à peine ont déjà la turlutte en main.

Hareng, capelan, encornet, en un mot tout ce qui sert d’appât pour amorcer les lignes, prend à Terre-Neuve le nom de boitte, et de l’abondance de la boitte dépend directement le succès de la pêche. Cette question a pour nos pêcheurs un intérêt d’autant plus grand qu’ils se trouvent au début de leurs opérations sous la dépendance du trafic de l’appât de provenance anglaise. Depuis que l’île de Terre-Neuve, émancipée par la métropole, jouit d’un self-government, son parlement, jaloux de notre industrie, a pris relativement à la pêche et à l’exportation du hareng des mesures vexatoires qui, sans nous porter de sérieux préjudices, ont fréquemment ébranlé la confiance dans les armemens. Si la boitte cessait en effet brusquement de nous arriver de la côte anglaise, la première pêche sur les bancs serait gravement compromise. Jusqu’à ce jour, les armateurs ont cherché, sans y réussir complètement, à se mettre à l’abri de cette éventualité. La meilleure solution serait incontestablement celle qui laisserait aux pêcheurs anglais toute liberté du trafic de l’appât avec nos pêcheurs ; la population de Terre-Neuve en a toujours, et d’autant plus vivement exprimé le désir, que ce trafic est pour elle un élément de prospérité.

Au sud de l’île de Terre-Neuve, à partir du méridien de 50° 40’ ouest, on rencontre, en allant vers l’ouest, une suite de bancs sur lesquels la profondeur de l’eau varie de 30 à 100 mètres. M. le contre-amiral Cloué, dans son Pilote de Terre-Neuve, donne sur les causes probables de l’existence de ces plateaux dans l’Océan les explications suivantes : « C’est en grande partie au gulf-stream qu’il faut attribuer la formation de ces bancs. On sait que ce fleuve d’eau chaude, qui remonte l’Atlantique septentrional en suivant à peu près un arc de grand cercle, tourne à l’est en arrivant aux bancs de Terre-Neuve ; c’est là qu’il rencontre le courant froid qui descend de la mer de Baffin, le long des côtes du Labrador et de