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LES
PÊCHERIES DE TERRE-NEUVE
ET LES TRAITÉS

L’île de Terre-Neuve est située devant l’embouchure du fleuve Saint-Laurent, dont elle fait un lac immense avec deux issues vers l’Océan ; elle a la forme d’un grand triangle et ne compte pas moins de 400 lieues de côtes, profondément découpées, surtout dans l’est et dans le sud, offrant un nombre considérable de havres ou de baies accessibles à tous les navires. L’aspect de ces côtes est triste et grand dans sa tristesse ; les terres sont hautes, grisâtres, sans verdure, et la mer brise avec fureur sur ces falaises désolées. À l’intérieur, la nature est belle et sauvage ; on trouve de beaux lacs, d’innombrables torrens qui roulent vers la mer, des forêts de sapins et de bouleaux souvent impénétrables, un sol mouvementé, une végétation puissante et qui semble pressée de vivre pendant les mois si courts que lui garde l’été. Dès que l’on s’écarte des côtes, on marche en pleine solitude : partout un silence profond ; pas une maison, pas une âme. Le climat est de fer. Les beaux jours sont rares, même aux mois de juillet et d’août, et le brouillard les obscurcit souvent. Le caractère du pays s’harmonise d’ailleurs avec le ciel qui l’éclaire : les horizons sont pâles et sévères ; le soleil n’est pas fait pour eux. D’octobre en avril, la terre se couvre de neige, et les baies sont prises par les glaces. En février, la banquise de la mer de Baffin descend, entraînée dans le sud par le courant polaire ; elle rencontre les côtes de Terre-Neuve, s’y brise et forme autour d’elle un dangereux écueil qui subsiste encore dans les premiers jours de juillet. D’énormes blocs de glace, connus sous le nom d’ice-bergs, viennent achever l’œuvre de la banquise : les uns s’échouent à l’entrée des havres et parfois les rendent impraticables ; les autres restent en vue des côtes comme pour en défendre l’approche, ou sont poussés vers le large par le courant et par le vent.