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vente des spiritueux. Un exemple plus frappant encore pourrait se tirer de nos lois révolutionnaires sur le maximum. Au préjugé précédent se rattache l’importance exagérée que l’on donne aux formes politiques : non que ces formes soient en effet indifférentes, mais elles valent ce que vaut le pays qui les adopte ; par elles seules, elles ne le dispenseront pas de sagesse, d’esprit de justice, de modération, d’empire sur soi-même, etc. Ici encore, nous avons le désagrément de voir que c’est en France surtout que M. H. Spencer va chercher ses exemples ; l’inefficacité de nos formes gouvernementales a pour cause, suivant lui, notre incapacité pour la liberté. Il serait inutile de discuter ici ces préventions, qu’un examen plus impartial des faits et moins prévenu par de vieilles rivalités nationales rendrait peut-être moins sévères. La seule manière de prouver aux étrangers que nous sommes dignes de la liberté, c’est de la fonder parmi nous. Jusque-là, il nous faut subir ces jugemens amers, et même il est bon que nous les connaissions, que nous sachions l’effet que produisent sur les autres peuples nos indignes querelles de parti, notre goût pour les excès de pouvoir, les palinodies de nos libéraux et de nos démocrates suivant qu’ils sont les maîtres ou les opprimés. Notre consolation, si c’en est une, c’est que M. H. Spencer nous associe les États-Unis comme exemple d’un gouvernement qui n’est libre qu’en apparence et où la forme fait illusion sur le fond. Nous voulons bien ici prendre à la lettre son témoignage à la condition qu’il nous fera connaître les jugemens des Américains sur le gouvernement anglais. Laissons de côté ces querelles nationales, si difficiles à terminer, et disons avec l’auteur : « Il faut dénoncer sans relâche cette adoration des moyens de la liberté, remplaçant la liberté même. »

Un autre préjugé politique signalé par l’auteur et commun à presque tous les hommes, même à ceux qui sont le moins sous l’influence des préjugés précédens, est « une foi vague à la possibilité de quelque chose de beaucoup meilleur que ce qui est ; » c’est de croire que, « même en prenant les hommes tels qu’ils sont, les affaires publiques pourraient être infiniment mieux gouvernées. » On suppose qu’on pourrait obtenir un gouvernement qui serait réellement gouverné par des principes rationnels, et qu’on pourrait tirer d’une société imparfaite une règle législative qui ne serait pas proportionnellement imparfaite. C’est là une erreur ; un peuple qui n’est ni bon ni sage ne peut, par aucun procédé, se donner un gouvernement qui serait absolument bon et sage. Cela revient à croire que l’ensemble peut être plus raisonnable et meilleur que les individus ; c’est le contraire qui est vrai.

Toutes ces observations sont intéressantes, instructives ; elles