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nous n’avons qu’à louer et à approuver. Nous regrettons presque que l’auteur n’ait pas écrit un livre tout entier sur ce sujet, le plus grave, le plus vital des temps présens. Quel beau livre il eût pu faire ! Combien utile à l’Europe et en particulier à la France, si travaillée de haines sociales, et que la guerre sociale a déjà, à plusieurs reprises, si douloureusement, si profondément éprouvée ! Cette guerre est éternellement alimentée, envenimée par les préjugés des deux parts, par l’ignorance des classes les unes à l’égard des autres, par le mépris et la haine, par l’amour-propre et l’orgueil. Qui guérira ces plaies ? qui apaisera ces passions infernales ? qui détournera ces mœurs terribles ? La force n’a qu’un temps, et elle se retourne souvent contre ceux qui l’emploient, la raison seule peut agir d’une manière durable ; mais c’est ce que les hommes détestent le plus : ils aiment mieux leurs maux que ce triste remède.

Tous les groupes dont se compose une société ont cet esprit de classe qui ne les rend attentifs qu’à leurs intérêts, ou plutôt aux opinions vraies ou fausses qu’ils se font de leur intérêt ; mais l’auteur insiste sur les préjugés réciproques des classes ouvrières et des classes possédantes. Il dit aux ouvriers les vérités les plus sévères ; il leur montre leur propre tyrannie à l’égard les uns des autres. Quand on voit par exemple dans les trades unions les houilleurs interdire à chacun d’eux de travailler plus de trois jours par semaine, et d’accepter de son patron un supplément de salaire, quand on voit les ouvriers en grève forcer leurs compagnons de renoncer au travail, ne peut-on pas dire aux ouvriers que le sentiment de la justice n’est pas plus développé dans leur classe que dans celles qu’ils prétendent si injustes à leur égard ? Quand une association de charpentiers limite par un règlement le nombre des apprentis, elle dit implicitement à tout apprenti excédant le nombre voulu : « Va te nourrir où tu voudras, » et si chaque corporation en fait autant, n’est-ce pas la loi de Malthus que les ouvriers s’appliquent à eux-mêmes ? Le préjugé de classe fait croire à l’ouvrier que la question ne se pose qu’entre lui et le patron, tandis que toute la classe des consommateurs est intéressée à la chose, et que l’immense majorité des consommateurs se compose de la classe ouvrière elle-même. Si les ouvriers étaient moins aveuglés par les préjugés de classes, ils comprendraient que, s’il ne se produit pas de formes industrielles nouvelles, c’est que cela est impraticable, c’est que la nature des ouvriers eux-mêmes n’est pas assez bonne, ou du moins qu’elle n’est assez bonne que chez peu d’entre eux. Des organisations