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certainement quelque chose. Si on était parti, comme le croit M. Spencer, de l’idée que l’administration est absolument rebelle à tout progrès, on n’aurait rien fait du tout, et l’abus aurait pu persister pendant l’éternité ; on n’a donc pas toujours tort de demander des réformes. Il est certain encore qu’il y a une tendance naturelle dans toutes les choses organisées à dégénérer par suite de l’imperfection humaine ; aussi Machiavel dit-il qu’il faut de temps en temps ramener les corps à leur pureté première. Ce zèle que M. Spencer remarque avec raison dans tout établissement nouveau doit être précisément employé à remonter la machine. Le scepticisme de M. Spencer contre toute action administrative va jusqu’à s’élever contre les examinateurs chargés de décider de la capacité des jeunes écoliers. M. Spencer demande encore ici qui examinera les examinateurs ? Tandis que les esprits superficiels ne voient que la stupidité des réponses faites par les élèves, M. H. Spencer est particulièrement frappé de la stupidité des questions. C’est là un pessimisme que l’on nous permettra de trouver excessif : ce n’est d’ailleurs qu’un détail dans le vaste réquisitoire de l’auteur. Au reste, il ne s’agit pas de prendre parti pour ou contre l’action de l’état : ce débat est précisément l’un de ceux que la science sociale aura à trancher ; mais l’une des deux opinions n’a pas le droit d’exclure d’avance l’autre à titre de préjugé. On pourrait ainsi trop facilement, par une exclusion préjudicielle, se dispenser de tout examen à fond, ou se préparer des présomptions favorables pour sa propre cause.


II

La troisième classe de préjugés signalée par M. H. Spencer, ce sont ceux qui naissent des milieux et de l’influence des différens groupes dont l’individu fait partie, et dont les principaux sont : la patrie, la classe, les partis politiques, les religions, etc. De là quatre espèces de préjugés sur lesquels l’auteur s’étend avec des développemens pleins d’intérêt : préjugés du patriotisme, préjugés de classe, préjugés politiques, préjugés religieux.

Les préjugés du patriotisme sont bien connus de tout le monde. Chaque nation les reconnaît très bien chez les autres, mais a beaucoup de peine à les reconnaître en elle-même. M. H. Spencer signale avec raison par exemple ce singulier préjugé qui ne veut pas admettre que le pays dont on fait partie ait jamais tort. Si un gouvernement fait une guerre injuste, ce sera manquer de patriotisme que de dire que cette guerre est injuste. Dans la querelle des États-Unis avec l’Angleterre, un orateur américain disait : « Notre pays, qu’il ait tort ou raison… » Tel est le sentiment universel chez tous