Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jolie silhouette des figures, qui sont d’ailleurs très bien modelées, font de ces peintures deux œuvres accomplies.

Une des fresques les plus connues, sinon une des meilleures du musée de Naples, est la fameuse Marchande d’amours. La gravure l’a popularisée, et un ingénieux peintre contemporain s’en est inspiré. Dans une petite pièce, éclairée d’un seul côté, la marchande d’amours, le sein découvert ainsi que l’ont les nourrices, est assise devant une cage d’osier qui renferme encore un petit amour. La commère tient un autre amour par les deux ailes, à peu près comme les marchandes de la halle tiennent un poulet. Elle le montre à deux jeunes femmes groupées à l’extrémité opposée du tableau. L’une d’elles est assise ; l’autre, restée debout, s’appuie sur l’épaule de son amie. Un amour que sans doute ces belles dames ont déjà acheté se penche vers elles et les regarde. La symbolique de cette composition, dans laquelle nous ne voulons pas nous égarer, a longtemps occupé, et sans résultat, la critique savante. C’est le sujet qui a fait la célébrité de ce petit tableau, comme il en fait à peu près tout le mérite. Le parti-pris hardi et original des ombres et des lumières mérite bien d’être loué ; mais le coloris est terne, le dessin incorrect (la jambe trop longue de la femme assise), la composition picturale peut-être un peu élémentaire.

La marchande d’amours avait sa place marquée au musée Bourbon. Quand elle aura vendu tous les amours qui remplissent son panier, combien pourra-t-elle encore en vendre ! car il y a une nombreuse série de peintures antiques consacrée aux amours et à leurs jeux. Les uns se parent des armes de Mars, les autres tourmentent les colombes de Vénus ; ceux-là soufflent dans de doubles flûtes ou embouchent des conques marines, ceux-ci touchent les cordes des lyres hexachordes ou agitent de légers tympanons. D’autres courent, dansent, sautent ; d’autres tirent de l’arc, chassent, pèchent, domptent des chevaux, montent des dauphins, conduisent des hippogriffes. Il en est qui jouent à cache-cache ; il en est qui s’effraient mutuellement avec des masques tragiques. Tous les jeux, tous les exercices, toutes les espiègleries, tous les caprices ! La manière dans laquelle sont peints ces amours n’est pas moins variée. Ici il y a la tonalité dorée du Corrège, là la tonalité cuivrée du Giorgione. On retrouve les ombres portées violemment accusées à la Prud’hon, les torses savamment modelés à la Raphaël. Des expressions de têtes ineffables font penser à Greuze, des bras et des jambes potelés, marbrés de mignardes fossettes, rappellent Boucher. Les amours des en-tête et des culs-de-lampe de Moreau le Jeune, d’Eisen, de Gravelot, pour les Baisers, Zélis au bain, les Saisons, le Décaméron, les Chansons de Laborde, ne sont ni plus spirituels, ni mieux inventés que ceux-ci.