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Au musée de Naples, on peut compter jusqu’à quarante de ces danseuses. Plusieurs d’ailleurs semblent être de la même main, et douze d’entre elles ont été découvertes, au siècle dernier, dans des fouilles entreprises sur l’emplacement présumé de la première Pompéi. Elles faisaient sans doute partie d’un système de décoration générale pour quelque grande pièce. Ces figures, traitées décorativement, ne posent pas à terre ; elles s’enlèvent en clair au milieu du panneau, sur champ rouge, brun ou noir. Les unes sont à demi nues ; autour d’elles flottent des draperies légères, de couleurs rompues, qui ménagent le passage des carnations au ton dur et uniforme du champ. D’autres sont enveloppées de ces tissus transparens, bleu clair, vert-bleu, hyacinthe, pourpre, safran, que les anciens nommaient vitreœ vestes. Sous ces voiles de verre, on sent la chair qui palpite, les reliefs qui se modèlent, les dépressions qui s’accusent ; on voit le mouvement des membres et le jeu des muscles. D’une main, cette tympanistria tient au-dessus de sa tête un tambourin qui projette une ombre portée très vive sur son buste nu ; de l’autre main, dont les doigts se ferment, elle fait résonner l’instrument. Cette danseuse, la jambe droite jetée en avant, la jambe gauche repliée en arrière, écarte de ses deux mains son vêtement safrané, comme si elle voulait apparaître dans sa sublime nudité. Celle-ci, dont la chevelure blonde est dénouée et flotte au vent, renverse la tête ; son bras, étendu tout droit, déploie son ample bassora vert de mer. C’est une bacchante en proie au délire divin. Celle-là, couronnée de roseaux et vêtue pudiquement, semble dans son mouvement lent se laisser glisser le long de quelque talus humide ; c’est une naïade. Cette autre, tout enveloppée d’une draperie flottante formant capuchon au-dessus de sa tête, porte une cassette d’or. Elle paraît planer dans l’éther. On croit voir la grande image de la nuit apportant le repos et les songes heureux aux humains. Ces gracieuses figures, on les voudrait de grandeur naturelle ; mais on ne saurait dire leur vénusté, leur souplesse, leur légèreté, leur élégance, leur « enlèvement. » C’est la danse elle-même : la danse des nymphes, la danse des fées, la danse des péris, la danse des elfes, la danse des willis !

La Néréide couchée sur un cheval marin et la Néréide couchée sur un tigre marin sont traitées de la même façon que les Danseuses. Elles se détachent en clair sur champ rouge. Ces deux belles peintures, qui se faisaient pendant et qui semblent du même artiste, ont été trouvées en 17(58 dans les excavations de Gragnano. La néréide au cheval marin est nue et vue de face ; l’autre, également nue, est vue de dos. Elle tient le tigre par le cou et lui verse à boire dans un plat d’or. L’expression des têtes, la grâce des mouvemens, la