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tique du chancelier. S’il y avait quelque divulgation des secrets de la chancellerie prussienne, ce serait un manquement, c’est possible ; mais qui donc a donné l’exemple des indiscrétions intéressées ? Est-ce qu’au commencement de la guerre de 1870 M. de Bismarck se faisait scrupule de divulguer les négociations les plus secrètes, des négociations où il avait eu sûrement plus de part qu’il ne le disait ? Est-ce qu’il savait imiter la prudente réserve de l’Angleterre, ne se décidant qu’à contre-cœur et sur une véritable provocation de l’empereur Nicolas à faire connaître en 1855 des négociations intimes qu’elle avait cachées jusque-là, même à la France, son alliée ? M. de Bismarck a eu des indiscrétions à l’égard des autres quand il y a vu son intérêt, il s’est exposé à voir les indiscrétions se tourner contre lui.

Cet étrange incident, qui ne laisse pas de montrer un certain état d’esprit, une certaine agitation chez le chancelier allemand, cet incident a, si l’on veut, une autre moralité. Depuis quelques années, il s’est introduit dans la diplomatie d’assez singuliers usages. Sous prétexte d’avoir plus de liberté, on traite les affaires publiques sous la forme de lettres particulières. On garde les lettres et on en dispose pour son intérêt ou pour son amour-propre. Après les premiers ministres, ce sont les ambassadeurs. Les provocations appellent les réponses, et tout finit par y passer. Ce que devient en tout cela la sûreté des rapports entre les gouvernemens, on ne le sait plus. Il est peut-être temps de s’arrêter dans l’intérêt des peuples dont la diplomatie est censée conduire les affaires. S’il y a des momens favorables pour certaines publications, il y a aussi des momens où il faut laisser parler les autres.

Voilà donc la France et l’Italie délivrées, non pas d’une complication sérieuse, mais de ce qui pouvait être une occasion de malaise ou un prétexte entre des mains ennemies ! Voilà cette question de l’Orénoque définitivement résolue. Une note officielle vient de le dire : l’Orénoque rentre à Toulon. Il n’avait été laissé à Civita-Vecchia depuis le mois d’août 1870 que pour rester à la disposition du pape dans le cas où Pie IX, « contrairement aux désirs de la France, » se déciderait à quitter l’Italie. Maintenant c’est un autre bâtiment français, stationnant dans un port français, qui reste affecté à la même destination, prêt à se rendre au premier appel, sans avoir à rencontrer le moindre obstacle. C’est une marque du sentiment affectueux de la France pour le saintpère bien plus qu’une précaution nécessaire. Le pape lui-même, informé de ces arrangemens, auxquels il avait été préparé, en a reçu la nouvelle « avec confiance, » de sorte que la question se trouve résolue dans les conditions les plus satisfaisantes. Elle aurait pu se terminer plus tôt ; rien n’est plus clair. Le gouvernement français, n’écoutant que l’intérêt de notre pays, pouvait depuis longtemps donner à un navire inutile l’ordre de rentrer dans nos ports. On a préféré tout ménager, préparer avec patience une solution dont la nécessité n’était point douteuse, et,