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devait pas retenir. À part le mémorandum venu de Paris, il y aurait parmi ces documens des lettres de M. de Bismarck dont le chancelier ne serait probablement pas fâché de reprendre possession, et dont l’ancien ambassadeur, sans doute pour la même raison, ne voudrait pas se dessaisir. C’est là le prétexte, car il est bien clair que, s’il n’y avait eu que ce fait, la question aurait pu être tranchée autrement que par un acte sommaire de justice et par la prison préventive. Le comte d’Arnim n’est pas un personnage à disparaître clandestinement. Au fond, cet étrange incident n’est, selon toute apparence, que le dénoûment d’une longue et violente hostilité qui existait depuis quelques années entre le chancelier et l’ancien ambassadeur. À quelle date précise et à quelle circonstance particulière remonte cette animosité ? Elle est née peut-être de dissentimens assez légers, elle s’est surtout aggravée pendant l’ambassade de M. d’Arnim à Paris. Il est notoire que le chancelier et le représentant de l’Allemagne en France ne voyaient pas toujours nos affaires de la même façon. Naturellement l’antagonisme avait pris un caractère plus implacable au moment du rappel de l’ambassadeur. M. d’Arnim n’était pas homme à supporter ce qu’il considérait comme une offense, pas plus qu’il n’était d’humeur à s’effacer absolument devant M. de Bismarck, dont il blâmait la politique, surtout dans les affaires religieuses. Avec sa position et ses relations, avec son expérience et son talent, il pouvait devenir un adversaire incommode, d’autant plus dangereux qu’il aurait pu, en certains momens, rallier les anciens conservateurs que les hardiesses du chancelier mettent souvent à de rudes épreuves. M, d’Arnim se disposait à se présenter aux élections pour le parlement ; c’est alors qu’il a été arrêté pour être mis en jugement !

Que l’ancien ambassadeur d’Allemagne à Paris soit exposé à essuyer les rigueurs de la justice de Berlin, ce n’est point impossible ; il peut être condamné. Et après ! le chancelier aura-t-il les pièces qu’il désire, qui ont échappé jusqu’ici à toute perquisition ? Est-il bien certain de n’avoir point ainsi rehaussé l’importance de celui qu’il reconnaît pour un adversaire dangereux, puisqu’il le poursuit avec cet acharnement, et de ne lui avoir point assuré le bénéfice de cette réaction d’opinion que provoquent tous les actes violens ? Assurément il y a dans tout cela quelque mystère. Notez que M. de Bismarck peut avoir raison en prétendant maintenir la discipline diplomatique et défendre l’inviolabilité des archives d’état ; mais il s’est donné tort par l’excès de ses procédés, et de plus il autorise toutes les conjectures ; il laisse croire que les pièces auxquelles il attache un si grand prix doivent être en effet assez compromettantes, puisqu’il ne craint pas de recourir à de tels moyens contre un personnage considérable. M. de Bismarck aurait été, dit-on, préoccupé des révélations que devrait contenir la brochure dont la publication se prépare à Genève, qui a pour titre : la Révolution par en haut, et qui aurait la prétention de mettre dans tout son jour la poli-