Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/94

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ariadne. Même lorsqu’ils peignent quelque grand dieu ou quelque héros fameux, bienfaiteur de l’humanité, les peintres de la décadence ne le mettent en scène que dans ses aventures galantes. Minerve et Junon n’apparaissent que pour être jugées par Paris, Vénus que pour pleurer la mort d’Adonis. Thésée parle à Ariadne, Persée embrasse Andromède, Achille console Briséis ; Hercule file aux pieds d’Omphale ou folâtre avec des bacchantes. Ils ne sauraient peindre Jupiter, le maître des hommes et des dieux, que sous la figure du cygne de Léda. Certes quelques peintures du musée de Naples attestent qu’un petit nombre de peintres voulaient encore lutter contre la mode ; mais leur talent, qui n’était pas à la hauteur de leurs aspirations, les trahissait. Les rares peintures qui représentent les types divins du cycle homérique sont inférieures, et comme dessin, et comme couleur, et comme composition, à celles dont les demi-dieux et les héros font le sujet. Pour peindre les dieux d’Homère, il faut de grands artistes, comme les maîtres grecs du siècle de Périclès et du siècle d’Alexandre, et les peintres de la Rome impériale n’étaient que de merveilleux ouvriers.


II.

À côté des peintures d’histoire, qui se recommandent par le beau style, la composition sévère, les attitudes pleines de noblesse, il y a les peintures de genre, qui ont la grâce, le charme, l’imprévu, aussi bien dans le sujet que dans la composition.

Comment ne pas s’arrêter de longues heures devant ces adorables figures, si souvent reproduites, mais jamais assez admirées, qu’on désigne sous le nom générique de Danseuses d’Herculanum ? Ce sont des bacchantes, des nymphes, des néréides, des muses, des heures, des grâces, des canéphores, des erréphores ; mais les maîtres de l’antiquité figurée les ont appelées les Danseuses, parce que les peintres ont vraisemblablement voulu représenter ces saltatrices, ces tympanistrias, ces aulètrides, ces mimes, ces ludiones, ces joueuses de cythare, de lyre, de harpe syrienne, de crotales et de cymbales, qui, dans les salles de festin et même sur les théâtres, imitaient les danses sacrées des vierges de Sparte et d’Athènes et les danses mythologiques des nymphes et des bacchantes. Un jour que Caton assistait au spectacle des jeux floraux, le respect qu’inspirait cet austère citoyen empêchait la multitude de demander que, selon la coutume, les danseuses se montrassent nues. Caton, averti par un de ses amis assis à ses côtés, sortit aussitôt du théâtre, afin que sa présence n’empêchât pas d’observer les rites accoutumés. Les Parisiens d’aujourd’hui diront que Caton ne pouvait moins faire.