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Ici, il est vrai, il ne s’agissait plus de la république et de la monarchie, mise du premier coup hors de combat, aussi bien que les intérêts locaux, La lutte était positivement engagée entre deux figures du bonapartisme. L’élection de la Corse a eu cela de particulier qu’elle s’est passée en famille. Elle a été l’occasion ou la manifestation visible de la grande scission impérialiste. Du gouvernement et des autorités légales de la France, on s’en est peu occupé. L’affaire est restée jusqu’au bout une simple querelle bonapartiste. Dans ce duel, le prince Napoléon représentait l’empire démocratique, révolutionnaire, socialiste. Le prince Charles Bonaparte était le candidat officiel du prince impérial, qui, saisissant pour cette fois les rênes du gouvernement, avait envoyé son secrétaire chargé de porter aux habitans de la Corse « sa pensée » et ses recommandations. Les préliminaires du combat n’ont pas manqué d’une certaine âpreté, et la lutte elle-même a été chaude. La victoire est restée à l’empire orthodoxe, et voilà comment le prince Napoléon n’est plus conseiller-général malgré le secours que lui a porté un ancien ministre des beaux-arts sous le consulat de M. Émile Ollivier, M. Maurice Richard. Voilà aussi le spectacle intéressant et rassurant que l’empire offre à la France. Il trouble de ses dissensions le pays qui fut le berceau de la fortune napoléonienne. Le scrutin d’Ajaccio a du moins le mérite de révéler les implacables divisions d’un parti qui, après avoir disposé de notre pays pendant vingt ans, après l’avoir laissé au pouvoir de l’ennemi, se croit encore le droit de prétendre à le gouverner, de nous parler de la prospérité et de la gloire dont il a le secret !

En réalité, après ces élections des conseils-généraux, dont le vote d’Ajaccio n’est qu’un épisode, que tous les partis s’efforcent maintenant d’interpréter à leur profit, après ces élections du 4 et du 11 octobre, la question reste la même. Qu’on dénombre des suffrages, qu’on mette une étiquette à tous ces élus de nos modestes cantons, rien n’est essentiellement changé. Si on a cru pouvoir trouver dans la dernière mêlée électorale un indice, un trait de lumière, la manifestation d’un mouvement précis et prépondérant d’opinion, on s’est trompé. Aujourd’hui comme hier, républicains, monarchistes, bonapartistes, s’agitent dans la confusion, dans la poussière qu’ils soulèvent par leurs polémiques plus bruyantes que décisives. Il n’y a qu’un fait de plus en plus démontré, c’est que, si chacun des partis est assez fort pour neutraliser ou embarrasser ses adversaires, il est impuissant à triompher par lui-même, et que le gouvernement a de la peine à trouver une position au milieu de toutes ces discordances, dont il ne peut venir à bout qu’en les dominant, en imprimant une direction, en prenant l’initiative d’une action décidée. La seule politique possible aujourd’hui, M. le président de la république la résumait d’un mot, il y a quelques semaines, en faisant appel aux « hommes modérés de tous les partis. » Malheureusement on peut dire que cette politique n’est point arrivée encore à être une vérité, parce