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maines tout entière à ses élections de toute sorte, élections de conseillers-généraux dans tous les départemens, élections de députés dans le Pas-de-Calais, dans les Alpes-Maritimes, dans le département de Seine-et-Oise, après les élections de Maine-et-Loire. Une fois de plus, les partis se sont donné rendez-vous autour de ce scrutin multiple ; ils en sont encore à discuter sur la signification du vote d’hier, sur ce que sera le vote de demain. Ils bataillent sur les élections entre deux polémiques sur le rappel de l’Orénoque ou sur le mémorandum espagnol, et au demeurant, quand on regarde de plus haut, tous ces faits intérieurs ou extérieurs n’ont qu’un même sens, une même moralité. Ils sont la démonstration évidente, croissante, de la nécessité d’en finir avec ces conditions ambiguës où il n’y a ni sûreté pour le pays ni indépendance pour le gouvernement, où tout est faussé par des luttes ou des alliances de partis acharnés à se disputer un pouvoir éventuel en paraissant soutenir le pouvoir qui existe.

Le pays, lui, est intéressé pour son travail, pour ses affaires, à savoir où il en est, ce qu’il sera demain, sous quelle loi il est appelé à vivre. Les partis, quant à eux, sont intéressés à tenir le pays incertain et inquiet, en se réservant la liberté de l’agitation, la possibilité de mettre la main sur l’avenir. Au milieu de ces contradictions, quel régime politique est possible ? Que peut faire un gouvernement qui a besoin d’autorité pour conduire nos relations avec l’étranger aussi bien que pour intervenir dans nos luttes intérieures ? Que deviennent les institutions elles-mêmes, les modestes et élémentaires institutions qui nous restent ? C’est toujours la même question qui renaît à propos de tout, dans une élection de conseil-général ou de municipalité, comme dans une élection politique. Il s’agit d’avoir une manifestation, une majorité de parti. Supposez une situation plus régulière où tout serait à peu près fixé et défini, où la loi constitutionnelle mettrait un frein aux prétentions contraires : alors sans nul doute ce que le gouvernement désirait, et ce qu’il a exprimé avec une certaine naïveté dans une note officielle, aurait pu arriver dans ces 1,400 élections de conseillers-généraux qui viennent d’avoir lieu. On aurait choisi des hommes pour leur influence, pour leur notoriété, pour les services qu’ils pouvaient rendre, et une institution précieuse, utile, serait restée ce qu’elle doit être, la représentation sincère, efficace, des vœux et des besoins locaux. Aujourd’hui, c’était inévitable, la question constitutionnelle qu’on n’a pas voulu décider encore, qu’on a eu l’imprévoyance de laisser en suspens, s’est trouvée transportée dans près de 1,500 cantons de France. Elle n’a point été assurément résolue, elle reste même peut-être plus obscure qu’elle n’était avant le scrutin. Elle a simplement produit à la surface du pays une mêlée d’antagonismes locaux et de passions politiques, une multitude de petites luttes dont la plus curieuse est sans doute celle qui a un moment remué la Corse.