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diplomate était sur le pavé, courant, à peu près nu, au hasard devant lui. Après bien des péripéties burlesques, il parvint enfin à regagner son logis, guidé par un bon Portugais qui lui prêta son manteau.

Ce singulier début n’eut point de suite fâcheuse. L’auberge des Saintes âmes du Purgatoire n’était pas de première classe, mais l’aubergiste valait mieux que sa maison et que son métier : c’était un gentilhomme génois qui avait dû quitter son pays pour une affaire galante et qui, non content de soigner son hôte et de le panser comme eût fait un frère d’armes, lui conseilla de se loger plus décemment et lui trouva un appartement fort bien meublé. Gorani avait une lettre de recommandation pour le patriarche de Lisbonne, et il eût voulu s’adresser d’abord à ce prélat, pensant que les gens d’église avaient tout pouvoir en Portugal ; mais le Génois l’empêcha de commettre cette première faute. Pour lui prouver combien peu les cardinaux étaient influens dans le pays, il lui montra un édit récent contre l’abus des chapelles. L’édit commençait par ces mots : « La politique de la cour de Rome lui fit toujours prendre le parti de ne placer sur le siège de saint Pierre qu’un vieillard décrépit qui, dans l’imbécillité de l’âge, se prête à tout ce que l’esprit d’intrigue peut désirer. Ce superbe pontife, esclave de ceux qui gouvernent en son nom, enchaîne sous sa tiare au char de l’intérêt la gloire, l’honneur, la religion et la vérité. Pierre disait : « Levez-vous, je ne suis qu’un homme, » et on a substitué à un dieu fait homme un homme souvent très pervers dont on a fait un dieu. C’est de la bouche d’un Hildebrand, si connu sous le nom de Grégoire VII, que l’on a fait sortir des principes qui sont des imprécations contre les autorités les plus légitimes, et des oracles qui sont des blasphèmes. Le successeur du prince des apôtres a répandu l’anathème dans tout l’univers, et ce royaume en a été plus infecté qu’un autre, ce dont Dieu nous fait un devoir de le guérir. La conduite des papes et de leurs ministres nous fait regretter le paganisme. Le corps du clergé national, oubliant son plus beau titre, qui est d’être Portugais, attaché à ses rois, s’est livré à l’esclavage ultramontain, dans l’idée de conserver des privilèges odieux, qui ne peuvent subsister avec la liberté de notre église portugaise. » On ne dit pas autre chose, aujourd’hui encore, en Prusse et en Suisse, mais on le dit moins crûment.

Gorani renonça donc à se présenter d’abord au patriarche et résolut d’aller tout droit au maître, au premier ministre qui gouvernait alors le Portugal, à ce Joseph de Carvalho qui devint plus tard le marquis de Pombal, et qui, en 1765, n’était encore que le comte d’Oeiras. Pour se présenter décemment à ce personnage, il prit une voiture à crédit, et se donna un domestique habillé tout de neuf aux