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été possible d’éviter tout conflit sérieux. L’essai peut-être unique tenté là pour préparer, par les enfans, la fusion des races, a été heureux et a donné tous les résultats qu’il était possible d’en attendre dans un petit nombre d’années ; prolongé, il eût certainement fait disparaître bien des préjugés, anéanti bien des germes de divisions, et préparé une assimilation que les intérêts du pays réclament impérieusement.

Quant aux études, un seul fait suffit à en établir exactement le niveau. Dès la troisième année, au mois de juillet 1871, 8 élèves du lycée ont reçu le diplôme de bachelier es-sciences français devant une commission française. Dans les années suivantes, des résultats analogues ont été obtenus. Si l’on veut bien tenir compte du point de départ et mesurer le chemin parcouru, on reconnaîtra qu’il était impossible de prévoir et d’espérer de tels succès ; ils sont le témoignage de la valeur et du dévoûment des maîtres autant que du travail persévérant et des heureuses dispositions des élèves. Les progrès obtenus, en général, dans les diverses parties de l’enseignement, et notamment dans l’étude du français et celle des arts d’imitation, ont dépassé toutes les espérances, et, dans cette lutte d’émulation entre des élèves de provenances si variées, les efforts les plus louables ont été accomplis. On aurait donc tort de regarder les races d’Orient comme devenues incapables de recevoir une culture intellectuelle sérieuse et de les condamner à une immobilité définitive et fatale. Il peut être intéressant de connaître quelles nationalités donnaient les enfans les plus intelligens et de meilleure conduite. À ce double point de vue, les Bulgares ont toujours tenu le premier rang et, après eux, les Arméniens ; en dernière ligne se plaçaient les Turcs, les Juifs, et enfin, j’ai regret de le dire, les catholiques latins. Les Grecs, à côté de quelques bons sujets, en présentaient beaucoup de mauvais.

La diversité d’origine de nos élèves donnait souvent lieu à de curieuses études de mœurs. Plusieurs jeunes Turcs suivaient les cours avec des esclaves de leur âge, entretenus par eux ; ils s’asseyaient aux mêmes bancs, portaient le même costume, et en plus d’une occasion venaient intercéder pour eux. C’est qu’en effet l’esclave, en Turquie, a une position fort adoucie et conquiert aisément une place dans la famille. Le sultan s’est appelé parfois le fils de l’esclave. Ali-Pacha, qui, en homme politique, appréciait les bienfaits d’une éducation conciliatrice, avait compris que certaines défiances de race contre les institutions turques n’existeraient pas contre Galata-Séraï, et nous envoyait les enfans dont il avait intérêt à s’attacher les familles. C’est ainsi que nous avions reçu un certain nombre de Circassiens, des fils d’insurgés crétois et le dernier