Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/851

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

succès de ses vues. Les attaques dont il a été l’objet à cette occasion prouvent que ses ennemis appréciaient la portée de cette création et le service qu’elle pouvait rendre au gouvernement ottoman.

Le bel établissement de Galata-Séraï, construit pour une caserne sur le plateau de Péra (au-delà de Stamboul), en face du Bosphore et admirablement disposé à tous les points de vue, fut choisi pour le premier essai, et on résolut d’y installer un lycée-type, devant servir de modèle à tous les lycées de province. La double pensée qui présida à cette création fut l’introduction d’un enseignement nouveau, donné en langue étrangère, et un essai sérieux de fusion des races indigènes, destiné à préparer l’égale admissibilité de tous les citoyens aux fonctions publiques. Un tel projet ne manquait pas de grandeur ; mais il présentait dans l’exécution de si étranges difficultés qu’il paraissait généralement irréalisable. Comme il a été conçu et inspiré par le représentant de la France, qu’il a fait venir à Constantinople un assez grand nombre de fonctionnaires français et qu’enfin il tendait au développement de notre influence dans tout l’Orient, il paraît digne d’intérêt d’entrer dans quelques détails sur son organisation. J’ai eu l’honneur de diriger le lycée de Galata-Séraï pendant plus de trois ans ; si cette position me commande une extrême réserve, elle m’a mis à même de beaucoup observer et ne saurait m’interdire de signaler avec impartialité ce que j’ai pu voir de bon et d’utile.

Dans les premiers mois de l’année 1868, Ali-Pacha, grand-vizir, et Fuad-Pacha, ministre des affaires étrangères, dont les efforts se sont si souvent et si longtemps concertés pour faire naître et grandir le progrès en Orient, s’entendaient définitivement avec M. Bourée et arrêtaient les bases sur lesquelles serait fondé l’établissement nouveau. L’état y institua 150 bourses, réparties entre les musulmans, les Arméniens grégoriens, les Grecs, les Bulgares, les Arméniens catholiques, les catholiques latins et les juifs. Ces bourses n’étaient accordées qu’à des sujets turcs ; mais les élèves payans pouvaient être admis sans distinction d’origine. Une somme de 400,000 francs fut immédiatement consacrée à l’appropriation du local et à l’acquisition du mobilier scolaire et des collections scientifiques ; un crédit annuel de 500,000 francs fut en outre accordé au lycée pour ses dépenses ordinaires. On s’est plus tard élevé avec amertume contre l’énormité d’une pareille subvention ; en réalité, cet établissement coûtait moins à l’état qu’aucune des autres grandes écoles, et la dépense moyenne d’un élève y a toujours été moindre que dans nos lycées de France et à l’école ottomane de Paris.

L’administration et une partie considérable de l’enseignement furent confiées à des fonctionnaires français, délégués par le ministre de l’instruction publique de France, à la demande du gouvernement