Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/826

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puis, accompagné d’une douzaine d’hommes à cheval, il se plaça lui-même à un point où deux murailles de feuillage formaient un étroit défilé, prêt à disputer l’entrée du camp les armes à la main. Les hommes postés en embuscade avaient ordre de tomber sur les flancs de l’ennemi aussitôt que s’engagerait le combat. C’était là une stratégie très simple empruntée aux Indiens. Les rudes, comme on les nomme, avancèrent deux par deux jusqu’à ce qu’ils eussent, à un détour du chemin, aperçu leurs adversaires ; alors se produisit un brusque arrêt de leur côté et une attaque non moins soudaine de l’autre. Du premier coup, Goodwin renversa son homme, dont le cheval s’enfuit à travers les rangs. Profitant du désordre et de la surprise, il donna un signal à ses méthodistes embusqués, qui chargèrent vigoureusement, et dès le début, malgré une énergique défense, la garde fut victorieuse. Goodwin n’abandonna la poursuite des fuyards que lorsqu’il les eut vus se jeter dans la rivière en face de Jenkinsville. Rentré sous la tente des prédicateurs, il dormit jusqu’à ce que le son du cor le réveillât pour son sermon. Le shérif arriva sur ces entrefaites, et apprit avec un effroi évident que la défense avait été aussi sérieuse ; Burchard était de ces hommes politiques qui essaieraient d’entamer des pourparlers avec une trombe. Parvenu au but de son ambition, il s’étudiait à contenter tout le monde, et aurait tenu à éluder la vengeance de la populace autant qu’à plaire aux méthodistes. Goodwin profita de ce dernier sentiment ; il se fit nommer député-shérif, puis se rendit devant un magistrat pour obtenir une prise de corps contre ceux qu’il savait être les meneurs. — S’ils reviennent, dit-il à la garde, nous les poursuivrons jusqu’au bout, car nous avons désormais la loi de notre côté.

— Il pourra vous en coûter cher, lui représenta solennellement Burchard. Quelques-uns de ces hommes-là, songez-y, appartiennent à la bande de Micajah Harp. Ne risquez pas votre vie.

— La vie est faite pour qu’on la risque, dit le jeune prédicateur.

Nos théologiens, habitués à ce qu’on les écoute avec respect, ne se doutent guère de toutes les ressources musculaires qu’un méthodiste de ce temps-là devait avoir en réserve pour renforcer sa rhétorique. Goodwin, une fois monté en chaire, développa sa haute taille à la façon d’un lutteur et fit sonner sa voix comme un clairon. Il savait qu’un texte religieux serait salué par des sifflets, aussi entreprit-il de dérouter son turbulent public par une nouvelle forme d’éloquence. — Il y a là-bas, dit-il en montrant du doigt certain groupe où éclataient des symptômes de désordre, il y a là-bas un gaillard qui me rappelle une histoire amusante.

Les plus malintentionnés firent silence pour entendre l’histoire.