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est ma fille ! elle obéira ! répétait-il de sa voix impérieuse et dure en jouant des coudes.

Le prédicateur finit par l’entendre et s’interrompit ; mais Patty, tout à son recueillement, ne comprit qu’il s’agissait d’elle que lorsqu’elle vit son père se forcer un chemin parmi les fidèles du premier rang.

Les méthodistes de ce temps-là manquaient rarement d’invoquer la sauvegarde de la loi afin d’éviter les agressions de gens malintentionnés ; il y avait donc un juge de paix et un agent de police sur le terrain. Le premier, flatté que ce grand orateur et cette masse de peuple se fussent mis sous sa protection, s’empressa d’intervenir : — Monsieur, dit-il, je serais fâché d’avoir à sévir contre un citoyen de votre importance, mais, si vous ne vous tenez pas tranquille, j’aurai à faire prévaloir la majesté de la loi en donnant l’ordre de vous arrêter pour tumulte scandaleux dans une assemblée religieuse. — Et le juge prit sa mine la plus imposante afin de représenter, comme il disait, la majesté de la loi.

— Patty Lumsden est ma fille, répondit le père indigné, j’ai le droit de la traiter à ma guise, et vous ferez mieux de vous mêler de vos affaires.

— Quel âge a-t-elle ? — Plusieurs voix attestèrent qu’elle avait vingt ans. — Puisqu’elle est majeure, reprit le juge, vous n’avez le droit ni de mettre la main sur elle ni de l’emmener de force. Dès à présent, je pourrais vous condamner à une amende pour ce bruit indécent, et, si vous ne vous retirez pas sur l’heure, je le ferai.

Le capitaine eût peut-être résisté aux injonctions du magistrat, soutenu par l’agent de police ; mais, voyant quelques frères solidement taillés des colonies voisines cracher dans leurs mains avec l’évidente intention de porter aide à la loi, il obéit, et la cérémonie s’acheva sans interruption nouvelle. Les poignées de main distribuées à la nouvelle convertie furent entremêlées de paroles d’encouragement. Plusieurs frères voulaient l’accompagner et la défendre dans la scène inévitable qui allait s’ensuivre avec son père ; mais, par respect filial, Patty refusa. Elle était de force à tenir tête au capitaine, et dans certains combats il faut savoir se passer d’alliés. Lorsqu’elle atteignit la maison paternelle, M. Lumsden était assis sur le seuil, calme en apparence par excès de rage. — Patty, dit-il, tu vas me promettre de renoncer à ces infernales momeries, autrement je te chasse.

— Père, supplia la pauvre fille de sa voix la plus douce, vous avez besoin de moi. Laissez-moi rester pour vous servir. Ma religion ne vous importunera pas.

— Je ne veux pas chez moi de ces grognemens dévots, s’écria le capitaine qu’étranglait une colère contenue, tu as déshonoré la famille…