Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/778

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur a faits de s’arrêter à de vaines curiosités ; que sera-ce si, au-dessus des applications toutes spéciales de l’esprit à des questions particulières, nous considérons le lien qui rattache chaque science à l’étude de la vie morale ! Là est la noblesse de ces connaissances ; pour y servir utilement, il faut être lettré et philosophe. Cette conviction, qui est générale en France, se trouve rarement en Allemagne. Il est étrange que le savant se croie autorisé à parler d’histoire et de poésie, de ce qui a été senti et pensé, s’il n’est pas persuadé que la rudesse et la banalité de la langue sont un voile épais qui cache à tous les yeux les contours et les formes, non-seulement des idées, mais des faits. L’exactitude, — cette qualité que l’érudition prise, et ajuste titre, plus que nulle autre, — est impossible, si le style ne se plie pas sous vos mains à toutes les nuances de la vérité. Les ouvrages bien écrits sont les seuls qui aient une complète valeur scientifique.

Les graves défauts de l’érudition allemande sont incontestables ; à chacun d’eux nous pourrions opposer les qualités qui nous sont propres. Nos voisins le reconnaissent ; ils savent les lenteurs, les imperfections, les périls qui doivent leur inspirer une perpétuelle défiance ; mais aux critiques de cet ordre ils répondent : « La France, si bien douée, néglige trop de former de bons ouvriers, qui dans ces études arriveraient au vrai talent ; contente des services que lui rendent des esprits de premier ordre, elle oublie parfois combien sont rares les soldats qui suivent ces chefs d’élite. » Ce reproche mérite toute notre attention. Beaucoup des élèves d’Eugène Burnouf étaient des étrangers ; la plupart d’entre eux ne sont venus s’instruire chez nous que pour retourner ensuite dans leur pays. Le plus illustre de tous, M. Max Müller, a maintes fois témoigné de sa reconnaissance pour celui qu’il a toujours appelé son maître. Il n’y a pas encore longtemps, à certains cours du Collège de France, on comptait plus d’Allemands que de Français. Des hommes de génie ont à peine laissé un ou deux disciples parmi leurs compatriotes. De la sorte il arrive qu’à la mort d’un professeur illustre on est tenté de supprim.er la chaire ou tout au moins de la transformer, faute d’un successeur désigné par son talent. La destinée du maître français est trop souvent de s’isoler dans sa gloire.

La supériorité du nombre des travailleurs bien disciplinés constitue pour l’Allemagne un avantage dont les conséquences sont faciles à montrer. Nous comparons non pas les talens, mais les moyens de recherches ; ces moyens sont plus sûrs et plus faciles chez nos voisins que chez nous. Si aride que soit une tâche, — et il en est beaucoup de très arides, — on sait à qui la demander au-delà du Rhin. Quand, il y a plus de trente ans, un éditeur de Paris voulut publier à nouveau