états-généraux afin de pouvoir se vouer entièrement, dans un temps si grave, aux intérêts qui lui étaient confiés. Il refusa aussi d’émigrer, même après la loi de 1791, et s’empressa de marquer son bon vouloir par d’importantes offrandes patriotiques. Il n’en fut pas moins arrêté par ordre du comité de sûreté générale vers la fin de 1793, et monta sur l’échafaud en juillet 1794, deux jours avant son fils aîné, qui avait été emprisonné comme otage, et trois mois après son frère Aymard-Charles-François de Nicolay, ancien premier-président du grand-conseil. — Du sinistre souvenir de l’année 1793, celui de l’année 1871 est désormais inséparable : l’infâme commune, renouvelée, a mis à mort comme otage un des chefs de la nouvelle magistrature et détruit par l’incendie, outre l’édifice de la moderne Cour des comptes, ce que cette cour avait pu sauver des anciennes archives d’un corps judiciaire si intimement mêlé aux destinées de notre pays. C’est ce qui donne à la publication de M. de Boislisle un précieux à-propos. La vérité historique importe beaucoup au triomphe de la moralité parmi les hommes ; il faut se réjouir de ce que, grâce aux efforts de la science, il soit après tout si difficile d’étouffer sa voix.
Quant au problème principal que soulèvent de tels souvenirs, il est évident que la constitution de l’ancienne France, telle que l’avaient faite le temps et les mœurs, doit nous apparaître comme un édifice par certains côtés incomplet et même illogique. Les cours souveraines, pouvoir essentiellement administratif et judiciaire, devaient être impuissantes à contenir la royauté dans l’exercice de son pouvoir politique. Il s’est rencontré de savans juristes pour soutenir qu’avec ces seules cours il eût été possible de créer une sorte de régime parlementaire capable de garantir la liberté ; mais le bon sens public ne s’y est pas trompé. Le vrai régime parlementaire ne saurait se passer de l’élément représentatif ; or la magistrature, émanée du pouvoir royal, ne suffisait pas à représenter la nation. Il eût fallu organiser et fortifier les états-généraux au lieu de les laisser s’oublier eux-mêmes dans un long sommeil suivi d’un réveil redoutable. Toutefois le temps et les mœurs, disions-nous, avaient fait cette constitution ; ils y mêlèrent pendant une longue période ce tempérament et cet équilibre qui naissent de l’expérience, des concessions mutuelles, de la solidité et de la longanimité de l’esprit public. Ces conditions permirent au génie de la France de se développer même au travers des agitations politiques et civiles, mais elles n’empêchèrent pas l’autorité monarchique de devenir envahissante et de creuser ainsi les abîmes.
A. GEFFROY.