Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 5.djvu/756

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ultérieure. De fait, le XIIe siècle n’admettait pas une telle séparation des pouvoirs, et le mécanisme de l’autorité monarchique y était encore à l’état rudimentaire ; le roi n’avait autour de lui que cette cour primitive, curia regis, aux attributions à la fois religieuses, politiques et militaires, sans époques fixes ni lieux certains de réunion. Il en fut de la sorte aussi longtemps que la royauté n’eut pas assez de force pour s’élever au-dessus de la société féodale, pour se créer une capitale et un centre de gouvernement. C’est seulement à l’époque de saint Louis qu’on voit le conseil se partager en deux sections : la justice à l’une, — c’est la future cour de parlement, — à l’autre les finances et le contrôle administratif, — c’est la future chambre des comptes. Peu à peu la seconde section se transforme en un corps distinct, stable et permanent, celui des gens du roi, chargés de la comptabilité royale, ou, comme on dit bientôt, les « maîtres de la cour de France. » Ils tiennent à époques fixes des sessions à Paris, d’abord dans les bâtimens du Temple, tout auprès du trésor royal, puis dans la Cité. Leur office est de vérifier chaque année les comptes des communes et des magistrats royaux, tels que les baillis, les prévôts et les sénéchaux. Bientôt ils cessent absolument de suivre le roi et sa chancellerie ; les premières années du XIVe siècle voient apparaître la dénomination de chambre des comptes, et ce nom de chambre va seul rappeler désormais soit les affinités avec l’ancien conseil, soit le lieu secret où, dans le palais des souverains, se traitaient les affaires de finance. Il y a des raisons de croire que le parlement n’a revêtu qu’un peu plus tard les caractères essentiels d’un corps organisé, perpétuel, sédentaire ; s’il en était ainsi, la chambre des comptes aurait eu le droit de lui contester le titre, qu’il revendiqua, d’être la cour la plus ancienne du royaume. On peut bien penser que c’est là un des points sur lesquels les discussions issues des rivalités se sont donné carrière, et M. de Boislisle n’a pas manqué d’indiquer les plus curieuses pièces de ce procès. Étienne Pasquier, l’illustre avocat-général, décidait ainsi la querelle. « Cette chambre, disait-il, a toujours été collatérale de grandeur à la cour de parlement. Et furent ces deux grands corps et collèges introduits de toute ancienneté par la France comme les deux bras de la justice, dont la cour de parlement était estimée le bras dextre, et cette chambre le senestre. Si la cour de parlement a fait que la chambre des comptes ne fût la première compagnie de France, aussi la chambre des comptes a été cause que la cour de parlement ne fût la seule première[1]. »

Fixée à Paris pendant ce règne important de Philippe le Bel qui

  1. A. de Boislisle, p. 173.