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de Château-Salins, de Sarrebourg, qu’elle laissait à l’Allemagne, puis elle courait à travers la Meurthe et les Vosges pour aller tomber vers Belfort, dont le rayon restait à fixer. D’un seul coup la France perdait Thionville, Metz, Forbach, Strasbourg, Mulhouse, Colmar, les trois quarts du département de la Moselle, un tiers de la Meurthe, une parcelle du département des Vosges, le Haut-Rhin moins un canton, le Bas-Rhin tout entier, 1 million 1/2 d’hectares de territoire, 1,600,000 habitans ! Je ne parle plus de l’indemnité réduite à 5 milliards et garantie par une occupation qui devait diminuer dans la proportion des paiemens, qui dans tous les cas se restreindrait à la rive droite de la Seine à partir de l’acceptation des préliminaires par l’assemblée. Indépendamment de cela, jusqu’à la paix définitive, les troupes françaises devaient se retirer derrière la Loire, sauf la garnison de Paris, que l’armistice avait fixée à 12,000 hommes, qui pourrait maintenant atteindre 40,000 hommes. Enfin, immédiatement après la ratification des préliminaires, des négociations devaient s’ouvrir à Bruxelles pour la conclusion du traité de paix définitif.

Ce qui avait pu être sauvé l’avait été dans la mesure des circonstances. On avait songé aux intérêts des provinces détachées. Nos prisonniers allaient pouvoir rentrer. Les réquisitions en argent, en nature, devaient cesser : c’était bien assez que la France restât chargée du paiement régulier d’une occupation étrangère. Là où les Allemands demeuraient encore, la perception des impôts devait se faire désormais pour le compte du gouvernement français et par ses employés. Bref, on avait fait ce qu’on avait pu pour limiter le mal qu’on ne pouvait empêcher, et du moins dans toutes ces conditions cruelles, inexorables, l’indépendance politique de la France restait intacte. En traitant avec la souveraineté nationale de notre pays, personne n’avait songé à lui demander des gages qui n’auraient été qu’une humiliation nouvelle. Le soir du 26 février, lorsque tout venait d’être accompli à Versailles, lorsque nos négociateurs rentraient dévorés de chagrin, ni M. Thiers, ni la commission des quinze ne se méprenaient sur l’immensité des sacrifices résumés dans ces préliminaires. Ils ne se sentaient soutenus, fortifiés, que parce qu’ils cédaient manifestement à une irrésistible nécessité, parce qu’ils suspendaient les ravages de la guerre, parce qu’enfin dans toutes ces rigueurs, dans toutes ces extorsions, dans toutes ces précautions jalouses, il y avait encore la marque d’un certain respect et des craintes que la France inspirait jusque dans son malheur.

Et maintenant, ce que M. Thiers avait fait, ce que la commission des quinze sanctionnait de son approbation résignée, l’assemblée nationale elle-même devait-elle ou pouvait-elle le désavouer ? De