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ces appuis, ne fût-ce que des témoins bienveillans, au moment décisif ; mais on oublie que les heures lui étaient rigoureusement comptées, que l’ennemi lui mesurait l’armistice jour par jour, — d’abord du 19 au 24, puis du 24 au 26, — pour nous tenir sous une sorte de contrainte et aussi précisément pour empêcher toute intervention européenne. M. Gladstone, je le sais bien, parlait de sa vigilance ; il ajoutait en même temps qu’il fallait consulter toute sorte de choses, « les dispositions des neutres,… l’attitude des belligérans… » Il se retranchait derrière cette raison que les belligérans n’avaient pas « exprimé le désir de voir surgir une intervention, » qu’ils ne souhaitaient pas qu’on fît « une démarche prématurée pour connaître leur pensée… »

Et tandis qu’on en était à cette diplomatie de l’expectative, le temps passait sans que M. Thiers y pût rien. Lorsque le duc de Broglie arrivait à Londres, le 24 février, comme ambassadeur de France en Angleterre, il demandait aussitôt qu’on obtînt de l’Allemagne une prolongation d’armistice, justement « afin que les négociations ne fussent pas écartées de la connaissance de l’Europe, » et que répondait lord Granville au nom du ministère ? Il disait : « J’ai informé le duc de Broglie qu’en ce qui regarde la proposition que le gouvernement de la reine pressât l’Allemagne de prolonger l’armistice, le cabinet était d’avis qu’une pareille démarche n’atteindrait pas le but qu’on avait en vue… » Veut-on savoir jusqu’où pouvait aller cette intervention de l’Europe dans nos tristes affaires et ce qu’elle avait d’efficacité ? Lord Granville avait adressé à lord Loftus, ambassadeur de la reine à Berlin, et à M. Odo Russell, agent anglais à Versailles, une dépêche au sujet de l’indemnité de 6 milliards, qu’il trouvait, non sans raison, démesurée. La dépêche était du 24 au soir ; elle ne fut remise à M. Odo Russell que dans la nuit du 26, lorsque la question de l’indemnité était déjà réglée ; elle avait été évidemment arrêtée en route. M. de Bismarck, en diminuant d’un milliard l’écrasant fardeau qu’il nous imposait, n’avait pas même voulu que l’Angleterre pût s’attribuer le mérite de cette légère concession. L’appui de l’Europe avait tout juste ce degré d’efficacité, et c’est ainsi que M. Thiers se trouvait seul, sans secours possible, réduit à signer ces préliminaires de paix qui, même avec quelques adoucissemens dus à une négociation laborieuse, restaient assurément l’expression la plus implacable de la force victorieuse la moins déguisée.

Il est vrai, on avait réussi à sauver Belfort, et c’était quelque chose dans notre triste fortune ; mais en même temps la frontière française remaniée, refoulée par la conquête, cette frontière, partant du Luxembourg au-delà de Thionville, allait maintenant couper la Moselle au-dessus de Metz ; elle dépassait les arrondissemens