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opposer que la diplomatie du courage, de la sincérité et du dévoûment. Reçu comme le plus digne des négociateurs, pénétré des malheurs du pays, résolu à bien des sacrifices, pourvu qu’on ne lui fît pas un paix impossible, il avait hâte de savoir à quoi s’en tenir ; mais avant tout il fallait au moins s’assurer un peu de temps, ne fût-ce que quelques journées. Ce n’était pas trop quand il s’agissait de l’intégrité, de l’honneur et de la fortune de la France. L’armistice n’avait été prolongé d’abord que jusqu’au 24, on touchait presque à cette date. Un nouveau délai devenait évidemment nécessaire, et ici du premier coup se trahissait la pensée de ne pas laisser la négociation s’égarer ou se compliquer, de nous tenir sous la menace incessante d’une reprise d’hostilités. On n’ajoutait que deux jours à la trêve, ce n’est que le 26, lorsque déjà tout était entendu pour des préliminaires de paix, qu’on accordait jusqu’au 12 mars. Encore chacun des belligérans gardait-il le droit de dénoncer la trêve à partir du 3 mars, selon les circonstances, et de plus ces prolongations successives, il avait fallu les payer. L’armistice du 28 janvier avait laissé en suspens la question de l’entrée des Allemands dans Paris. Que M. de Bismarck se fît l’exécuteur d’une intention préconçue de l’état-major prussien, qu’il eût la faiblesse de vouloir relever le défi de certains journaux qui prétendaient que « les barbares s’arrêtaient aux portes de la ville sainte, » toujours est-il que le chancelier du roi Guillaume exigeait désormais l’entrée des troupes allemandes comme prix de la continuation de la trêve. « Quand je demandai la prolongation de l’armistice, dit M. Jules Favre, M. de Bismarck répondit : Oui, mais nous allons occuper Paris… » Cette entrée des soldats allemands restait, il est vrai, soumise à des conditions qui en diminuaient singulièrement l’éclat ; elle devait cesser par la ratification de la paix, et, pour tout dire enfin, elle se mêlait à des questions plus graves, plus essentielles, agitées dans une négociation où la paix avait à triompher de bien autres difficultés.

Dès lors en effet, du 21 au 26 février, dans une maison de la rue de Provence à Versailles, se déroulait une lutte intime, poignante, où un homme seul, désarmé, représentant d’une nation vaincue, n’ayant d’autre force que la raison, son éloquence, son patriotisme désespéré, avait à se débattre sous l’étreinte du vainqueur. Triste drame où il fallait compter, non plus avec des illusions, mais avec une réalité faite pour dominer les cœurs les plus fermes en les révoltant ! Chaque matin, M. Thiers prenait le chemin de Versailles pour se rencontrer avec M. de Bismarck dans un redoutable tête-à-tête qui se prolongeait souvent toute la journée. Le soir, il revenait à Paris, au ministère des affaires étrangères, où il se retrouvait