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Limousin et l’Auvergne. Chanzy quittait lui-même Bordeaux et se rendait à son quartier-général de Poitiers pour être sur le terrain à l’heure voulue et se tenir prêt à supporter le premier choc.

Rien de mieux. On avait fait ce qu’on avait pu pour montrer à l’invasion que sur un point au moins on ne désarmait pas devant elle ; mais ce n’était qu’un vain palliatif qui ne pouvait déguiser ni la menaçante supériorité de l’ennemi, ni notre insuffisance, aggravée par la désorganisation et le découragement du pays. Ainsi de toute façon, à cette heure cruelle, il restait avéré que la France demeurait seule au monde, sans espoir de secours, et que, demeurée seule avec des forces si douloureusement inégales, elle allait du premier coup être obligée de recommencer la lutte au-delà de la Loire, sur le Cher, la Vienne et la Creuse. Encore un instant, on ne pouvait plus tenir à Bourges, c’était déjà prévu : on se disposait à se retirer sur l’Allier en détruisant le matériel qu’on ne pourrait emporter. D’un mouvement énergique, l’ennemi pouvait s’ouvrir un chemin vers le Rhône, le centre ou le sud-ouest. Chanzy lui-même, quelle que fût son intrépidité, allait avoir sûrement fort à faire, surtout s’il avait à supporter une bataille perdue avec une armée impressionnable, au milieu d’un pays menacé de nouveaux désastres. On en était là, et c’est sous le poids de toutes ces complications ou de ces impossibilités que M. Thiers, définitivement chargé du pouvoir le 19 février, devait quitter Bordeaux dans la nuit, accompagné du ministre des affaires étrangères, M. Jules Favre, et d’une commission parlementaire dite des quinze, nommée pour lui prêter tout au moins l’appui moral de sa présence à Paris dans la négociation qu’il allait ouvrir à Versailles.

Que la question fût déjà presque tranchée, que le désir de la paix, même au prix des plus pénibles sacrifices, l’emportât dans l’assemblée, rien ne le prouvait mieux qu’une scène émouvante qui avait eu lieu, qui avait été pour la chambre une occasion malheureuse de laisser voir la mesure de sa résignation. Le 17 février, un député alsacien, M. Keller, avait déposé une motion revendiquant pour l’Alsace et la Lorraine le droit inviolable de rester françaises, et proposant de déclarer dès ce moment « nuls et non avenus tous actes qui consentiraient l’abandon de leur territoire. » Évidemment une ardente, une poignante sympathie luttait dans les cœurs avec le sentiment accablant de la réalité. C’était peut-être tout engager à l’improviste. Avertie par M. Thiers, qui, sans être encore chef du pouvoir, allait le devenir, l’assemblée s’était bornée à déclarer qu’elle « s’en remettait à la sagesse et au patriotisme des négociateurs français. »

M. Thiers, quant à lui, n’hésitait pas ; il voulait la paix, bien