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allemande comptait 570,000 fantassins, 63,000 cavaliers, 35,000 artilleurs avec 1,700 bouches à feu. Joignez à cela les troupes du génie, le train, les services administratifs. C’était une masse de près de 1 million d’hommes vivant sur nos provinces pressurées, ruinées, sans parler de 250,000 hommes restant en Allemagne. En tenant compte de ce qu’il fallait pour contenir Paris, pour en finir avec quelques places, pour aller forcer Faidherbe dans ses lignes du nord, les chefs prussiens avaient encore de quoi former plusieurs armées de 100,000 hommes pour marcher sur le midi de la France. Quelles que fussent les pertes dont les Allemands avaient jusque-là payé leurs succès, — et ces pertes ne laissaient pas d’être considérables, elles atteignaient un chiffre de 127,000 morts ou blessés, — quelle que fût la fatigue de la guerre au-delà du Rhin, — et cette fatigue ne laissait pas d’être vivement ressentie dans toutes les classes, — nos ennemis restaient en mesure de poursuivre jusqu’au bout leur victoire, et ils se tenaient prêts.

Certes la partie, qui n’avait été jamais égale entre l’Allemagne et la France, l’était bien moins encore après six mois. Rien de plus tragiquement simple que notre bilan militaire à ce moment. D’un côté nos pertes de toute sorte, par le feu, par les capitulations : tout compte fait de ce qui avait disparu dans les premiers combats, dans les gouffres de Sedan et de Metz, à Strasbourg, dans les places des Vosges, sur la Loire ou ailleurs, la France avait en Allemagne 385,000 prisonniers, dont plus de 11,000 officiers. Il y en avait partout de Mayence à Kœnigsberg. Nos malheureux soldats encombraient les forteresses et les villes allemandes au point d’embarrasser l’ennemi. Comme si cela ne suffisait pas, Paris gardait une formidable réserve de la captivité, 250,000 soldats ou mobiles, qui devaient prendre le chemin de l’Allemagne au cas où les hostilités se rouvriraient. Ce n’est pas tout enfin : 80,000 hommes venaient de passer d’un seul coup en Suisse. Chose inouïe, accablante pour l’orgueil d’une nation militaire, la France comptait 700,000 prisonniers ou internés à l’étranger, sans parler des morts ou des blessés, et en perdant les hommes elle avait perdu de plus 22 places fortes, le matériel de trois grandes armées, 1,800 pièces de campagne, 5,000 pièces de place, plus de 600,000 fusils. C’était un total effrayant. La France avait entre les mains de l’Allemagne de quoi conquérir l’Allemagne : preuve évidente qu’on n’avait su se servir de rien, que tout avait tenu au vice de la direction et des dispositions.

Que restait-il donc pour faire face aux nécessités nouvelles de la guerre, si on se décidait à un effort désespéré ? Des forces, du nombre, il y en avait sans doute jusqu’à un certain point. Il y avait