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nom et l’autorité de la France à la place de toutes les dictatures, d’être pour tous, pour le pays comme devant l’ennemi, l’expression légale et vivante de la souveraineté nationale.


I

Élue le 8 février et réunie dès le 12, née d’un des plus libres et des plus énergiques mouvemens d’opinion, l’assemblée nouvelle arrivait à Bordeaux pour être avant tout la mandataire du patriotisme et du péril. C’était son rôle et sa mission. Sans doute elle reproduisait en elle-même toutes les émotions, toutes les contradictions, et, si l’on veut, toutes les confusions du pays ; dans son ensemble, elle procédait d’une réaction presque impétueuse de prévoyance nationale et conservatrice ; elle ressemblait à une protestation spontanée contre la politique de guerre à outrance et d’agitation révolutionnaire, et si l’esprit de ces élections de 1871, dans ce qu’il avait de plus juste, de plus modéré, pouvait se caractériser par un nom, il se résumait dans le nom de celui que vingt-six départemens choisissaient pour sa clairvoyance comme pour son dévoûment, — M. Thiers. Cette fatale guerre en effet, M. Thiers avait essayé de la détourner avant qu’elle n’eût éclaté au 15 juillet 1870, et il avait fait ce qu’il avait pu dans le conseil de défense pour en atténuer les désastres après les premières hostilités. Au lendemain du 4 septembre, il avait parcouru l’Europe en plénipotentiaire de la France envahie, gagnant des sympathies à défaut de secours. Il était allé à Versailles négocier pour Paris assiégé un armistice que la sédition du 31 octobre avait seule fait échouer. Retiré à Tours et à Bordeaux, il avait essayé vainement de retenir une dictature emportée qui finissait par le traiter en suspect. Cette sûreté de raison, la supériorité de l’expérience parlementaire et diplomatique, l’éclat d’une illustration européenne, une sorte d’acclamation publique, tout se réunissait pour faire de M. Thiers le chef d’un gouvernement nouveau dans la situation qui s’ouvrait, un négociateur autorisé, s’il le fallait, et dans tous les cas le guide naturel d’une assemblée dont la première mission était fixée par l’armistice du 28 janvier : « se prononcer sur la question de savoir si la guerre doit être continuée ou à quelles conditions la paix doit être faite. »

Évidemment, si une assemblée avait pu être réunie deux ou trois mois plus tôt, même après la chute de Metz, lorsque Paris promettait encore une longue résistance, lorsque les armées de province commençaient à se former et attestaient leur existence à Coulmiers, si un plénipotentiaire de la France avait pu se présenter devant l’ennemi, devant l’Europe, appuyé sur cette assemblée, sur un pays