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président de la république dans ses voyages. C’est avoir bien peu de mémoire et oublier bien vite qu’il y a trois ans à peine l’homme que l’esprit de parti poursuit de ses traits recevait le pays sanglant des mains de l’ennemi, et qu’il le rendait deux ans après délivré de l’occupation étrangère. Combattez la politique de M. Thiers, si vous le voulez, sachez respecter en lui le grand serviteur du pays dans les mauvais jours et ne laissez pas croire surtout que sa popularité peut être un danger ou un sujet d’ombrage pour ceux qui lui ont succédé. — Quoi encore ! Peut-être pensez-vous que la France reste dans une situation assez difficile en Europe pour avoir besoin d’une grande réserve, et qu’il y a des points vifs auxquels on ne doit toucher qu’avec d’extrêmes ménagemens ? Détrompez-vous. Les questions les plus délicates sont livrées chaque jour au vent des discussions. S’il s’agit de l’Italie, M. de Bismarck est derrière, et si la France attache quelque prix à vivre en bonne amitié avec la nation italienne, c’est qu’elle est livrée par notre diplomatie à l’Allemagne. S’il s’agit de l’Espagne, c’est encore M. de Bismarck, et c’est évidemment pour obéir à M. de Bismarck que nous ne soutenons pas les carlistes. Les partis ne voient pas que, s’il y avait du vrai dans ce qu’ils disent, ils joueraient avec les humiliations du pays. Ils mettent un triste calcul à remuer des blessures qu’ils devraient respecter ; ils font du bruit là où ils devraient se taire, et c’est là justement ce que nous appelons oublier la situation faite à la France, n’avoir pas le sens de la seule politique possible, salutaire, la politique de la réserve, des efforts réparateurs, du dévoùment aux seuls intérêts nationaux, de l’application constante à cette réorganisation, qui reste encore un programme à peine ébauché.

À vrai dire, c’est un peu le mal d’une situation indécise, de cette incertitude qui, en se prolongeant, laisse place à toutes les espérances et à tous les calculs, à toutes les imprévoyances et à tous les subterfuges de l’esprit de parti. Le gouvernement ne peut pas tout pour guérir le mal, puisque c’est l’assemblée qui a créé cette situation et qui la maintient, puisqu’il est lui-même souvent assez embarrassé dans la confusion. S’il ne peut pas tout, s’il n’a ni l’organisation ni les institutions qu’on lui a promises, il a du moins assez d’autorité pour suppléer autant que possible à ce qui manque par une certaine netteté de direction, par une certaine unité de vues et d’action. Que M. le ministre de l’intérieur fasse supprimer ou suspendre des journaux par les préfets, qu’il envoie lui-même des avertissemens ou des menaces, ce n’est pas précisément en cela que consiste la netteté de direction ; c’est quelquefois un moyen d’ajouter à l’obscurité : cela prouve tout simplement que l’état de siège est un système commode pour empêcher de dire ce qu’on ne veut pas entendre. Le gouvernement a paru assez souvent depuis quelques mois vouloir adopter comme programme une politique de trêve, d’union nationale, de pacification par le concours des « hommes modérés de tous