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de terreur repentante : — Oh Dieu ! s’écria-t-il, quel misérable je fais !

La pénitence de Kike fut contagieuse : des gémissemens éclatèrent de tous les coins de la maison. Les plus forts s’enfuyaient pour cacher leur trouble, la plupart priaient prosternés jusqu’à terre. Le prédicateur sentit qu’il était temps de changer de langage et d’offrir quelques consolations ; il exagéra peut-être son effet, car les plus épouvantés se mirent à pleurer de joie. Parmi ces conversions subites, un grand nombre sans doute n’eurent pas de racines ; mais combien de coupables firent remonter à cette heure-là le début d’une vie honnête ! Kike s’était mis à genoux, frémissant de tout son corps. Il resta dans cette posture tant que dura le meeting, sans parler, sans pleurer, sans se joindre aux hymnes entremêlées de cris de douleur ou de joie. Ce qui se passa en lui, nul ne le sait. — Le meeting terminé, Brady, que la contrition de son élève avait singulièrement ému, emmena la mère du pauvre garçon, laissant celui-ci libre de les suivre ; mais Kike ne bougea pas. Le sentiment de son crime l’oppressait de telle sorte qu’il ne se croyait pas digne de vivre jusqu’au matin. Il fallut que Mme Wheeler et quelques frères qui étaient venus des colonies voisines restassent jusqu’après minuit à s’entretenir avec lui et à le rassurer. L’état où il se trouvait leur paraissait un signe de réveil sérieux.

Enfin le prédicateur engagea la sœur Wheeler à prier. Il n’y avait rien de plus beau dans ces vieilles réunions méthodistes que la prière improvisée à haute voix par les femmes. Le génie féminin s’y révélait avec une tendresse infinie. Mme Wheeler se mit à confesser, non pas les péchés de Kike, mais leurs péchés à tous ; puis, lentement comme un guide qui attend qu’on le suive, elle se tourna vers l’espérance. Elle invoquait Dieu avec la simplicité d’un petit enfant, et peu à peu elle amena Kike lui-même à voir en lui un père. Deux grosses larmes coulèrent de ses yeux, et une paix délicieuse l’envahit. Il ne haïssait plus, il ne craignait plus, il s’était glissé pour ainsi dire dans le cœur de Dieu ; un abîme infranchissable se creusait entre sa vie passée et sa vie future. Tout radieux, il échangea des poignées de main avec ses nouveaux frères et s’en retourna vers l’heure où son ami Morte n, fatigué de danses et de plaisir, se jetait sur son lit pour dormir.


EDWARD EGGLESTON.