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beaucoup lu sans le moindre ordre, se plaisant à raconter et possédant des qualités d’humour qui, dans la colonie, lui valaient l’importance d’une gazette locale.

— Écoute, dit-il à Morton, un œil malicieusement fermé. Quand vous avez été promener vos têtes sans cervelle dans la forêt, je suis allé, moi, trouver l’ennemi et je lui ai dit : — Capitaine, vous devriez représenter ce comté au conseil législatif. — Le croyez-vous, Brady ? — Mon Dieu, je l’ai répété aux gens de Forks jusqu’à ce qu’ils se soient tous rangés à mon avis, et j’ai encore quelque influence en réserve, comptez-y. — Le capitaine mord à l’hameçon, cela va sans dire. — Brady, me dit-il, je vous suis obligé. — Surtout n’allez pas donner la moindre prise aux gens qui vous veulent du mal. — Soyez tranquille, je serai prudent, me répondit-il. — Cette affaire de Kike par exemple, si vous me permettez d’y faire allusion… — Eh bien ? — Elle serait une arme terrible contre vous ; on en parle déjà beaucoup trop. — Là-dessus le capitaine me dit : — Brady, je crois que je peux me fier à vous… — On peut toujours se fier à l’honneur d’un gentleman irlandais. — Je me suis mis dans un mauvais pas, Kike s’est assuré la protection du vieux Wheeler. Comment me tirer de là ? — En faisant la paix avec Kike et Morton. Pour ce qui est de Morton, il est, vous pouvez m’en croire, le plus habile jeune homme de l’endroit, et si vous faisiez une alliance avec lui, vous le plus habile des hommes de votre âge, à quoi n’atteindriez-vous pas ! — Mais le moyen de le ramener ?.. dit-il. — Votre charmante fille Patty, cette divine personne, vous indiquera ce moyen et celui de le tenir en bride pour la vie, répondis-je en clignant de l’œil. — Il se mit à rire et me dit : — Votre tête irlandaise est une bonne tête en somme, vieux Brady. Nous y penserons ! — Pourvu que cet animal de Kike ne gâte pas mon ouvrage ! soupira le rusé maître d’école.

Brady avait raison de craindre Kike, dont l’humeur vindicative ne s’était pas ralentie le moins du monde. Il était bien aise que sa terre ne fût point vendue, mais, glorieux de cette victoire, il haïssait son adversaire plus que jamais.


IV. — UN PRÉDICATEUR MÉTHODISTE.

Le colonel Wheeler portait le drapeau de l’indépendance dans le creux d’Hissawachee. Il était devenu capitaine durant la révolution ; mais les titres révolutionnaires eurent une tendance marquée à grandir pendant le quart de siècle qui suivit La guerre, et les voisins de l’ancien officier lui accordèrent de l’avancement à mesure