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le scandale de l’exemption quand les charges du pays sont ainsi augmentées du fait des exemptés eux-mêmes ? Pour ce qui est de la conscription, si elle avait existé dans les provinces basques, elle aurait eu un triple effet : les soldats ayant fait leur temps auraient rapporté dans leurs foyers des idées moins exclusives et plus espagnoles, la fusion des races aurait fait un pas, les soldats basques sous les armes auraient pu servir à combattre l’insurrection cubaine, enfin on aurait diminué d’autant le nombre des carlistes armés.

Donc, tout en conservant, si l’on veut, aux provinces basques une certaine indépendance administrative, car la centralisation absolue présenterait peut-être moins d’avantages que d’inconvéniens, il faut les soumettre à l’impôt et à la conscription : ce qu’on a fait en 1840 pour la Navarre, la plus redoutable des quatre provinces, peut se refaire encore. À la vérité, si dès aujourd’hui le parti libéral se décide à toucher aux fueros, son intention, une fois connue, risque de prolonger la lutte, de même que la volonté formelle de ne point reconnaître les grades : cette dernière considération influera sur l’esprit des chefs, la première sur l’esprit des soldats. D’autre part, il faut l’avouer, un convenio serait bien mieux dans les mœurs et les traditions de l’Espagne entière, on satisferait ainsi à son désir, à son besoin le plus impérieux en accélérant la conclusion de la paix, et les injustices que nous signalions tout à l’heure ne choqueraient pas énormément après celles qu’on a vues déjà ; mais, comme le gouvernement de Madrid par la reconnaissance des puissances européennes vient d’acquérir une plus grande autorité morale, comme de jour en jour la nécessité d’un effort vigoureux est mieux comprise par tous, gouvernans et gouvernés, comme l’armée, composée aujourd’hui de conscrits, ne peut que s’améliorer, les chances de la lutte sont de plus en plus en faveur des libéraux à mesure qu’elle se prolonge, et il serait imprudent, pour vouloir l’abréger, de consentir à des concessions dont l’immense danger a été reconnu et se touche au doigt chaque jour. De la persistance, un peu d’énergie encore, et la victoire ne sera pas stérile ; de la mollesse au moment décisif, et tous les sacrifices déjà faits l’auront été en pure perte.


III.

Les armées à notre époque ont d’immenses besoins, et quelles que soient la sobriété et l’énergie des paysans basques, bien qu’ils fassent surtout la petite guerre, la guerre de partisans, l’existence et l’entretien d’un effectif aussi nombreux que le leur resteraient un mystère, s’ils ne tiraient du dehors les ressources de toute nature,