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Il faudrait donc changer de méthode, prendre patience pendant quelques mois, se battre peu, éviter toute rencontre à moins d’avoir accidentellement les avantages du nombre et de la position, et de pouvoir utiliser l’artillerie. Pendant ce temps, la vie des camps, les marches, les escarmouches, aguerriraient l’armée libérale, composée en trop grand nombre de jeunes soldats. Telle a été la tactique des carlistes au début, et en cela ils ont fait preuve d’habileté, refusant le combat jusqu’à ce que leurs bataillons fussent devenus solides ; aujourd’hui les vieilles troupes sont de leur côté. Il faudrait, leur dérobant quelque marche, menacer une de leurs fabriques d’armes ou tout autre endroit auquel ils tiennent, les forcer ainsi à l’offensive et les attendre derrière des tranchées comme les leurs qui se font en une nuit. Ce système de temporisation serait le plus sûr moyen d’user et de vaincre l’insurrection ; les carlistes ont fait leur dernier effort, les libéraux au contraire commencent à peine à s’organiser. On objectera peut-être le mauvais état des finances, qui ne permet pas de perte de temps. Or à ce point de vue la situation était pire encore pendant la guerre de sept ans ; les ressources matérielles de l’Espagne étaient beaucoup moindres, elle n’avait pas, comme aujourd’hui, un système de contributions directes exactement calqué sur le système français ; personne n’était payé, le soldat était nu ; il se battait pourtant, et il a su vaincre à la fin. La ténacité n’est pas le privilège exclusif des carlistes ; c’est une qualité espagnole, et nul des libéraux ne reculera devant les privations les plus prolongées.

En même temps qu’on traînerait la guerre en longueur, on isolerait les provinces insurgées. Il est difficile de faire une statistique exacte des douanes carlistes et des produits qu’elles donnent ; toujours est-il qu’un certain courant d’importations a lieu sur plusieurs routes à travers le pays rebelle, et que les agens royaux perçoivent là-dessus des droits assez forts ; il faudrait à tout prix les priver de ce revenu, arrêter tout commerce, ne rien laisser entrer ni sortir, faire par terre le blocus le plus strict possible, garder soigneusement la ligne de l’Èbre ; sur mer, multiplier les croiseurs afin d’empêcher efficacement l’introduction du matériel de guerre. À bien dire, cet isolement ne sera jamais absolu, grâce à la topographie de la frontière française, qui, en dépit de toute surveillance, rend la contrebande beaucoup trop facile ; mais la contrebande ne s’applique qu’à des objets de valeur sous un faible poids, le trafic des denrées les plus usuelles et les plus nécessaires sera arrêté. Par là, on fera sentir à ces populations trop nombreuses pour le territoire les inconvéniens de la guerre, on les dégoûtera de la lutte, on rendra irrésistible ce besoin de paix qu’elles éprouvent déjà, et qui se fût