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en finances, en tout ce qui concerne la conduite d’un état, avec les excès qu’il serait inévitablement porté à commettre, avec la répulsion qu’il inspire à la grande majorité de l’Espagne, les défiances qu’il ferait naître chez les puissances étrangères comme l’Allemagne ou l’Italie, le dégoût que lui témoignerait l’Angleterre, l’éloignement que bientôt lui montreraient la France libérale et les légitimistes eux-mêmes, étonnés de l’avoir si longtemps méconnu, — comment admettre qu’il pût se maintenir au pouvoir ? Ne serait-il pas bien vite débordé, usé, renversé ?

De tout cela, on ne saurait néanmoins conclure que le carlisme doit être facilement vaincu. On a perdu en 1873 le moment propice pour l’écraser ; maintenant il ne compte pas moins de 70,000 hommes sous les drapeaux. Avant la mort de Concha, la population madrilène paraissait se douter à peine qu’on se battît dans le nord ; aujourd’hui, avec cette facilité d’impression du caractère méridional, du moment qu’elle daigne s’en occuper, elle voudrait que la guerre se terminât comme par enchantement. Il faut d’ailleurs connaître le théâtre des hostilités pour savoir combien la lutte y est ardue et périlleuse. La chaîne des Pyrénées, du côté de la France, se termine assez brusquement au nord ; du côté de l’Espagne au contraire, les contre-forts sont nombreux et occupent une largeur de 60 à 80 kilomètres ; en longueur, la chaîne s’étend bien au-delà du pays insurgé, puisque, outre la Navarre, le Guipuzcoa, l’Alava et la Viscaye, elle embrasse à l’est l’Aragon et la Catalogne, à l’ouest la province de Santander jusqu’à Santoña. Sur cette largeur moyenne, qu’on se figure, non point une chaîne principale avec des ramifications, mais une série innombrable de collines ou mamelons de 200 à 500 mètres de haut, gardant entre eux une certaine uniformité. Il y a sans doute quelques bassins principaux ; mais les rivières sont si peu considérables qu’elles ne changent guère le caractère général du pays. Qu’on place maintenant au milieu de ces montagnes des hommes robustes, agiles, fanatisés, abrités derrière des ouvrages en terre, armés du fusil à tir rapide ; ne voit-on pas quel désavantage présente l’attaque ? Les tourner n’est pas toujours praticable : Concha y réussit à Bilbao et y périt à Villatuerta. Ils sont aujourd’hui prévenus ; ils connaissent le pays mieux que leurs adversaires, ils ont de meilleurs espions et éclaireurs : on ne peut guère les surprendre. L’armée du nord vient tout récemment de leur donner le change en attaquant Oteiza pour masquer le ravitaillement de Vitoria, deux opérations exécutées simultanément à 80 kilomètres de distance ; cette feinte a parfaitement réussi, mais il n’y a rien là de commun avec l’attaque de front de positions retranchées : une semblable attaque ne peut être tentée qu’avec des forces triples au moins de celles des carlistes, et encore le succès serait-il souvent incertain.