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à élever la voix contre les fueros, dont elles avaient à souffrir : c’était blesser chez les paysans la fibre nationale. Les curés habilement surent profiter de ces dissensions ; devenus les plus influens par l’absence des propriétaires, ils excitèrent les rancunes et attisèrent l’incendie.

On peut se demander pourquoi le clergé basque a contribué si activement à l’insurrection ; sa situation en effet, comparée à celle de tout le clergé espagnol, était des plus avantageuses : il a conservé ses biens, perçoit la dîme, reçoit en outre une allocation de la diputacion, vit en un mot dans le bien-être et l’abondance. La raison de son mécontentement, c’est que depuis la révolution de 1868, dans quelques grandes villes d’Espagne, beaucoup de gens, sous couleur de libéralisme, se plaisaient à attaquer la religion : ces attaques allèrent parfois jusqu’à profaner les sanctuaires et à maltraiter les prêtres ; en même temps éclataient les révoltes de Montilla. d’Alcoy et de Carthagène. Le clergé basque ne sut pas prévoir et attendre la réaction inévitable que ces excès devaient amener. D’autre part, le trône était vide, et cette coïncidence dut influer sur des esprits peu éclairés, intimement convaincus que le trône est le seul boulevard possible contre le désordre, le socialisme et l’impiété. Les monarchistes libéraux étaient réduits à l’inaction ; le retour d’Isabelle II était devenu impossible ; son fils, le prince Alphonse, n’était encore qu’un enfant ; le clergé basque se jeta dans les bras du seul parti monarchique qui fit en ce moment preuve de vitalité. Cette cause d’ailleurs par elle-même leur était déjà assez sympathique ; quelques vieux curés avaient tenu pour l’aïeul et n’étaient pas fâchés de jouer de nouveau un rôle sous le petit-fils ; les plus jeunes, ordonnés à Rome pendant que l’Espagne manquait d’évoques à cause de la suspension de ses relations avec le saint-siège, en avaient rapporté certaines idées politiques empruntées aux ultramontains. Enfin le carlisme s’est posé comme l’unique défenseur de l’orthodoxie, il a exagéré la dévotion, multiplié les promesses, excité tour à tour dans une partie du clergé le fanatisme et l’ambition, et c’est ainsi que les prêtres basques ont été conduits à prêcher la guerre sainte contre leur propre pays.

Moitié de gré, moitié de force, les paysans ont suivi. Il était encore parmi eux quelques carlistes de vieille roche, mais, quoi qu’on en dise, le carlisme n’existait plus dans les provinces à l’état de parti, et en 1869 ils se fussent soulevés bien plus volontiers pour Alphonse XII que pour don Carlos : ils trouvaient en effet dans la restauration de la branche aînée la satisfaction de toutes leurs idées royalistes, religieuses et conservatrices. C’est l’absence d’un autre drapeau monarchique et national qui les a poussés, eux aussi, vers le prétendant. Depuis deux ans déjà, ils se battent avec un courage